Gli angeli del 2000
Autres titres: The angels of 2000
Real: Lino Ranieri
Année: 1969
Origine: Italie
Genre: Drame
Durée: 92mn
Acteurs: Ivano Davoli, Evi Marandi, Gianni Dei, Eleonora Rossi Drago, Franco Citti, Francesca Righini, Antonella Murgia, Maria Luisa Bavastro, Petra Angeli, Antonietta Fiorito, Stella Monclar, Fiorella Masselli, Conny Caracciolo, Pamela Mell, Eleonora Vivaldi, Federico Boido, Mario Pierotti, Gianfranco Maggi, Franco La Gioia, Giancarlo Eleuteri, Luciano Jacovitti, Donatella Giannini, Guido Mancini...
Résumé: Marco, petit dealer et consommateur de stupéfiants, vit une vie monotone dans laquelle il ne trouve plus aucune source de bonheur. Il est hanté par la mort de sa petite amie survenue lorsqu'il était encore adolescent. Son souvenir le hante et perturbe la stabilité de sa vie amoureuse. Au fil du temps hanté par ses démons Marco perd pied. Ses amis, une bande de petits bourgeois désillusionnés en quête de liberté absolue, ne sont pas sa meilleure chance de s'en sortir...
Pour son unique film dont il est aussi le scénariste l'énigmatique Lino Ranieri frappe fort. Massacré par la censure qui à l'époque refusa même de le voir en projection pour dixit atteinte aux bonnes moeurs, Ranieri le réalise en 1969, Gli angeli di 2000 demeure aujourd'hui une pellicule étonnante, fascinante sur bien des points, une oeuvre aux limites de l'expérimental assez difficilement classable.
Marco, un garçon d'une trentaine d'années, petit trafiquant de drogue et consommateur régulier de stupéfiants, vit une vie dans laquelle il est tout sauf heureux. Ses amis sont un petit groupe d'étudiants bourgeois qui tuent le temps dans des soirées festives orgiaques et
à commettre de menus larcins pour se procurer de la drogue et se faire un peu d'argent. Marco a une relation amoureuse stable avec une danseuse, Mary, mais il ne peut s'empêcher d'accumuler les aventures d'une nuit jusqu'au jour où Mary le surprend à vendre de la drogue à un jeune garçon. Elle rompt de suite, fatiguée de ses excès et tromperies. Marco est également très attirée par une jeune voisine, Angela, qui lui rappelle Valeria, dont il était amoureux lorsqu'il était adolescent. Valeria est morte sous ses yeux, écrasée par un train. Marco ne s'est jamais remis de ce drame et vit dans le souvenir, hanté par la jeune fille. Fatigué de cette vie, rongé par ses obsessions, pris d'hallucinations Marco n'est plus
capable de se sortir d'affaire lorsqu'il se retrouve bien malgré lui pris entre deux bandes de dealers rivales qui se déclarent la guerre. Un jour alors qu'il se promène dans la rue il revoit les principales étapes de sa vie défiler dans sa tête. C'est alors que sur le trottoir d'en face apparait Angela. Il traverse la rue pour la rejoindre. Une voiture le heurte. Marco agonise sous les yeux de Angela dont le visage prend les traits de celui de Valeria. L'ombre d'une croix se forme sur le sol. Serait-ce un signe de Dieu?
Difficile de résumer ce film tant il est surtout et avant tout une oeuvre visuelle truffée de symboles. Qui sont ces fameux anges du titre? Ce sont tout simplement la représentation de
la jeunesse italienne en cette toute fin d'années 60 dont Ranieri fait une peinture bien sombre. Gli angeli del 2000 annonce à sa manière toute une vague du cinéma italien qui dans les années 70 allait prendre pour principal thème l'ennui, la morosité, la vacuité de vie de tout un pan de la jeunesse bourgeoise romaine qui s'opposait aux vieilles valeurs de leurs parents, de leur hypocrisie en se perdant dans la drogue, le sexe et la petite délinquance et tentait d'acquérir son indépendance en s'affranchissant des valeurs morales et familiales, une quête de liberté absolue. Cette petite bourgeoisie est incarnée par Gianni, un étudiant qui a quitté le toit parental pour vivre sa vie, libre, avec les difficultés que cela
entraine, une expérience qu'il regrette et ne conseille pas à Mario, lui aussi décidé à abandonner les études, ce pour quoi ses parents se sont toujours battus. Gianni fait partie d'une petite bande dirigée par la jolie Dory. Ensemble ils cambriolent des pavillons pour voler de la drogue et s'emparer de bijoux. Une façon de survivre mais aussi de faire la fête sous acides rassemblés chez l'un ou l'autre. La scène d'ouverture donne le ton. Une foule de jeunes est réunie dans un salon. On danse des jerks endiablés, on boit, on fume, on s'enivre. Au petit matin les couples se sont formés. On sort des chambres, déglingués, les vyniles trainent sur la moquette, le tourne-disque tourne à vide, on salue la maitresse de
maison et on s'en va. On devine l'orgie qui a du se dérouler durant la nuit. C'est d'ailleurs à cette occasion qu'on fait la connaissance de Marco, un des amis de Gianni autour de laquelle se centre l'intrigue. Petit dealer égaré dans une vie qui ne lui convient plus, amoureusement instable, en froid avec son père Marco, adolescent, a vu sa petite amie se faire écrasée par un train sous ses yeux. Depuis ce tragique accident il vit dans son souvenir, hanté par son passé qui le ronge de plus en plus jusqu'à lui faire perdre pied. Le quotidien de Marco et celui de ses amis se mêle et s'entremêle jusqu'au jour où Marco ne parvient plus à sortir la tête de l'eau, ravagé par ses hallucinations et la douleur du passé.
Gli angeli del 2000 est un tableau amer au ton sombre de la jeunesse d'époque, non pas la jeunesse idéaliste de 1968 mais celle désillusionnée qui tentaient de redonner vie à la misère culturelle et économique de son pays et trouvait dans le monde de la drogue une forme d'échappatoire, qu'on soit dealer ou consommateur. Leur univers c'est celui des prostituées, histoire de prendre du bon temps, parfois et bien ironiquement plus résistantes, plus endurcies et surtout confiantes en l'avenir qu'eux, les strip-teaseuses et chanteuses de cabaret plus fines et intelligentes puisque l'une d'elles refuse toute drogue et a même fait fortune en faisant ce métier. C'est dans cet univers qu'évolue Marco dont l'histoire, la
déchéance, la descente aux enfers prend peu à peu le dessus sur le reste de la narration et donne au film ses plus étranges moments, ses plus tourmentés mais également ses plus oniriques jusqu'à ce final christique où son passé rejoint le présent, une manière symbolique de boucler en quelque sorte la boucle.
Ranieri filme l'ensemble avec art, avec élégance et recherche. Il fait de cette bande singulière un film quasi expérimental, troublant, dérangeant dont certains passages sont tout bonnement magnifiques, tout empreints d'un psychédélisme qui témoigne qu'on est bel et bien en 1969. Outre la splendide scène d'ouverture et sa fête orgiaque on retiendra le trip
sous acides très coloré de Gianni et ses amis où des fleurs, des poissons et autres crustacés nagent dans le vide de l'espace rempli de créatures fellinniennes, l'humiliation d'une prostituée violentée puis crucifiée sur un arbre, le vol de stupéfiants chez Franco, les nombreux flash-backs notamment la partie de ballon près de la voie ferrée juste avant que Valeria ne soit fauchée par le train et surtout le long, très long délire de Marco en proie à ses démons, un trip effrayant filmé comme un véritable cauchemar ponctué d'une musique distordue, dissonante. Imparable est aussi la bande originale signée Mario Molino, un réel bijou auditif pour amoureux de rock psychédélique dont le thème principal ressemble à s'y
méprendre au Psyché-rock de Pierre Colombier.
On saluera aussi l'interprétation d'une jolie brochette d'acteurs, un tout jeune Gianni Dei en tête aux cotés de l'excellent Ivano Davoli (repéré dans A... come assassino et Le tueur à l'orchidée), les yeux charbonneux parfait dans le rôle torturé de Marco. Franco Citti fait une apparition très remarquée lors de la scène du vol. La brune Eleonora Rossi-Drago, Evi Marandi et Antonella Murgia sont l'atout charme.
Filmé en majeure partie en un beau noir et blanc tendance expressionniste allemand qui accentue souvent l'aspect sombre, désespéré du récit, agrémentée de quelques scènes en
couleur ou simplement bichromes, de quelques touches sépia, pour le coté onirique et délirant Gli angeli del 2000 est une vraie petite gemme malheureusement aujourd'hui oubliée, perdue. Il n'en subsiste qu'une copie téléciné médiocre qui en 2019 a fort heureusement ressurgi du fin fond des oubliettes où elle gisait depuis un demi siècle. Fortement décriée à l'époque de sa sortie pour sa violence (somme toute bien modeste à nos yeux aujourd'hui), son langage putassier et son contenu sexuel jugé audacieux en cette fin d'années 60 (on y montre des signes de bondage et d'homo-érotisme, Lino Ranieri filma même un "69" immédiatement retiré par une Dame censure outrée qui pratiqua nombre
d'autres coupes dont la plupart des scènes de sexe, d'orgies festives, et en allégea d'autres comme celle de la crucifixion de la fille) cette pellicule jamais distribuée en salles, inédite sous toute forme de support, reste le témoignage d'un cinéma transgressif de haute valeur artistique, une pellicule fascinante, captivante, étrange, furieusement belle qui tout en sonnant toujours moderne est aussi un bel exemple de psychédélisme fortement estampillé années 60. A découvrir de toute urgence en espérant qu'un jour ces Anges de l'an 2000 connaissent une seconde vie via une restauration numérique fortement méritée.
Lino Ranieri qui apparut brièvement en tant qu'acteur dans trois petits films dont Sicario 77 vivo o morto de Mino Guerrini semble s'être volatilisé de la surface de la planète après la réalisation du film, sa seule et unique mise en scène.