America cosi nuda cosi violenta
Autres titres: Amérique à nu / Amérique nue et violente / Les bourgeoises de l'amour / Naked and violent / America how naked how violent / America our home
Real: Sergio Martino
Année: 1969
Origine: Italie
Genre: Mondo
Durée: 95mn
Acteurs: Giorgio Albertazzi, Edmund Purdom (narrateurs)
Résumé: Le réalisateur nous propose un tour d'Amérique afin de nous en faire découvrir les différentes facettes toutes aussi peu reluisantes les unes que les autres: drogues, persécution raciale, violence gratuite, décadence sexuelle, communautés hippies, rites sataniques, suicide... en sont quelques aspects.
Après une première incursion en 1969 dans le mondo avec Mille peccati... nessuna virtu Sergio Martino alors inconnu en signe un second dans la foulée toujours écrit et produit par son frère Luciano. Genre particulièrement controversé pour son coté malsain le mondo ou cinéma-réalité plus ou moins falsifié à forte tendance voyeuriste, moyen détourné pour flatter les vils instincts d'un public en incessante demande de sexe et de violence, était un excellent filon aussi commercial que lucratif pour remplir les caisses des maisons de production. Dissimulés sous forme de pseudo documentaires ils permettaient ainsi de contourner la
censure et pouvaient joyeusement flirter avec l'érotisme hard, voire le porno alors interdit, jouer avec la violence la plus crue et montrer la suprématie de nos sociétés dites civilisées sur les peuples considérés primitifs, l'homme noir et asiatique. Avec Mille peccati... nessuna virtu Martino nous invitait à un tour du monde souvent comique des coutumes sexuelles à travers la planète, de la prostitution de luxe ou non au culte du corps en passant par l'amour libre des communautés hippies et les rites sexuels sataniques dans les milieux occultes. Plutôt ringard et surtout inoffensif puisque presque entièrement fake ce premier mondo n'est guère mémorable, simplement drôle mais agrémenté néanmoins de quelques touches
sulfureuses (la famille hippie et leurs enfants en bas âge qui fument un joint). Avec America cosi nuda cosi violenta Martino décide cette fois de monter d'un cran voire de plusieurs et de montrer le vrai visage de l'Amérique de ce début d'années 70, mettre à nu cette terre dite promise, d'en montrer sa face la moins glorieuse dans un mélange d'images réelles et de reportages fabriqués de toutes pièces.
Ce voyage au coeur des Etats-Unis débute par des images de la pauvreté, la mendicité qui envahit les rues de New-York, de pauvres hères maladifs, imbibés d'alcool (on boit pour oublier qu'on existe dit la voix du narrateur), qui dorment à même le sol, y meurent dans
l'indifférence générale pendant qu'on envoie des hommes sur la lune (nous sommes en 1969) et qu'on vend aux touristes des fusées en forme en sexe à Cap Kennedy. Ce sont sur ces parallèles constants qu'une majeure partie du film est construit, certains tout spécialement douteux. Aux sans abris et oubliés de la société se substitue l'image d'un vieillard en civière mais pourtant heureux car atteint d'un cancer. Mieux vaut mourir du crabe que seul sur un trottoir. Méditons!
A Miami la publicité, grande prêtresse de notre société moderne, sculpte le corps d'insouciantes nymphettes dorées et superficielles qui courent en bikini sur les plages
ensoleillées mais à Altamont un autre pan de la jeunesse américaine, les hippies, assistent au tragique concert des Rolling Stones au cours duquel sera poignardé un jeune spectateur, Meredith Hunter. Mais à cette mort répond cinq naissances puisque cinq femmes accoucheront lors du concert justifie le narrateur. Une mort vaut bien cinq bébés. Amen!
Altamont, Woodstock, des rassemblements de milliers de jeunes chevelus au nom de l'amour universel où corps nus et cheveux longs fument et se droguent au LSD pour oublier la guerre, heureux. Les images proviennent directement des concerts cités, un véritable bonheur pour tous les amoureux transis de cette époque bénie dont on ne se lassera jamais
de voir et revoir. Mais quel sacrilège d'avoir mis en fond sonore l'horrible thème chanté ("Look away" par Shirley Harmer), une sorte de mélodie sirupeuse digne d'une Barbra Streisand du pauvre. Soucis de droits supposons nous.
Et la culture hippie est plusieurs fois à l'honneur durant le film. Martino montre un jeune drogué prendre des acides et filme son délire, un étrange monologue avec Dieu. Inquiétant. Comment oublier un des moments forts de ce mondo, celui où un groupe de beatnicks crasseux à des fins de retour à la nature dégustent des cafards vivants avec pour seul son celui des cancrelats qui craquent sous leurs dents. Fake ou réel le doute est permis, Martino
montrant par instant les horribles bestioles mastiquées, écrasées dans leur bouche, un festin qui donnera sûrement la nausée à plus d'un tant la séquence semble réaliste et le bruit répugnant. Plus drôle est celle où un superbe jeune homme à l'impressionnante coupe afro se prépare à faire l'amour à trois jeunes filles de la haute société afin de prouver à la presse qu'un hippie peut lui aussi être propre et avoir des relations sexuelles normales. Les trois jeunes damoiselles le douchent, le parfument et le rejoignent au lit, l'haleine mentholée. Finalement un hippie peut être autre chose que "mansonien" ou "blattivores". Hallejuah! Impossible d'évoquer l'ère Peace and love sans image de manifestations pacifistes reléguées ici en fin de bande avec en cerise sur le gâteau la mutilation d'un jeune pacifiste
dont on tranche volontairement les doigts au couteau afin qu'il ne se serve jamais d'un fusil, une scène entièrement fake digne de Herschell Gordon Lewis!
Pas de mondo encore moins d'Amérique sans sexe, ingrédient indispensable au genre. Après une visite des clubs à la mode où désormais les gogo danseuses tombent le bas et se trémoussent les fesses à l'air, l'humanité ne pouvait tomber plus bas affirme le narrateur, on assiste à une orgie organisée par la jeunesse dorée américaine où les participants tous dissimulés derrière d'horribles masques (une manière de se désinhiber) se mêlent et s'entremêlent sur la moquette du salon au milieu de fumigènes.
L'art de "l'auto-stop sex" donnera peut être des idées à certains puisque de beaux jeunes hommes tendent le pouce au bord des routes pour un petit voyage au paradis rose avec les charmantes jeunes femmes qui les font monter à bord de leur voiture avant ou après un cours de body-painting très tendance en cette fin d'années 60.
La solitude est la triste compagne de bien des hommes. Voilà pourquoi ont été créées les poupées gonflables. Martino nous présente Jacqueline, la nouvelle et hideuse partenaire en plastique d'un pauvre quadragénaire qui la gonfle, l'habille et l'admire pathétiquement avant de s'allonger dessus, son gros fessier simulant un lent et indécent va-et-vient.
On ose même parler homosexualité masculine en montrant un miséreux mariage gay où se bousculent cinq pauvres invités et un cinéma homosexuel sur Broadway où de vieux libidineux regardent de façon léthargique un adonis aux muscles saillants se doucher lascivement.
On s'amuse on rit mais on aime aussi marier sexe et violence voire sexe et satanisme d'où la référence où meurtre de Sharon Tate et de cette séquence filmée la veille de sa mort nous dit-on. Un groupe de hippies inquiétants organise un sabbat rituel. Une jeune femme droguée est déshabillée, son corps recouvert de cire bouillante au dessus duquel on égorge
un poulet vivant. Une fois son corps recouvert de sang les adeptes de la secte se ruent sur elle et boivent le sang. Une scène visiblement fake mais efficace qui fera sursauter les défenseurs des animaux écoeurés face à la décapitation du volatile mais les tueries d'animaux sont là encore un des éléments de base du mondo. C'est révoltés qu'ils finiront après avoir vu le massacre des cibles vivantes soit des dizaines de lapins attachés par les pattes sur lesquels tirent des rednecks. Martino filme avec insistance les malheureux léporidés exploser, réduits en chair à saucisse sous l'impact des balles. Un véritable carnage bien réel cette fois.
Si la mise à mort d'animaux est chose récurrente dans le mondo le racisme l'est également. Impossible de ne pas évoquer la condition des Noirs, de parler de l'Afrique (ou de l'Asie), de ces peuples dits sauvages. Les mondo ethniques des frères Castiglioni et ceux de Jacopetti en sont des exemples cinglants. America cosi nuda cosi violenta n'échappe pas à la règle et contient très surement une des séquences parmi les plus brutales, les plus violentes, les plus dérangeantes que le mondo ait connu, une chasse à l'homme noir à travers la forêt. Un jeune noir accusé du viol d'une blanche est poursuivi par une horde d'hommes en rage. Il est rattrapé et passé à tabac, le visage tuméfié à coups de poings, étranglé puis trainé, enchainé
au sol et réduit en charpie à coups de bâtons, une des bastonnades les plus cruelles jamais réalisées durant laquelle on entend littéralement son corps se briser sous les coups filmés avec fureur. D'une violence sidérante l'authenticité de la scène particulièrement dérangeante reste équivoque. Réelle ou non elle risque de provoquer des hauts le coeur à bien des spectateurs, outrés face à une telle inhumanité. Elle est suivie d'une évocation de l'esclavagisme dans les champs de coton où Martino fait référence à Addio zio Tom puis du témoignage d'une femme qui donne son avis sur l'intégration raciale, l'égalité des races, de l'homme blanc et de l'homme noir, une chose impensable car contre nature, écoeurante.
L'homme blanc incarne l'intelligence, le noir ou le nègre comme on l'appelle durant tout le métrage, le sauvage.
Un petit tour à Lafayette dans un ghetto noir puis on assiste à un rite sexuel dans un gratte-ciel de New-York comme quoi l'homme noir perpétue les traditions de ses frères sauvages (dixit le narrateur) même dans notre monde civilisé. Le visage peinturluré, à demi-nus, un groupe d'afro-américains exécute une danse tribale au son d'un rythme obsédant afin de célébrer le dépucelage de jeunes vierges. Au cours de la danse de plus en plus frénétique on leur cisaille l'hymen au couteau. Le sang virginal s'écoule à terre, ils pataugent, dansent dedans.
Malgré l'opinion quasi générale sur le sujet les relations interraciales ne sont pas impossibles. La preuve. Un homme blanc couvert de peinture, nu, fait l'amour à une jeune femme noire sur le drapeau américain lors d'un live show. Ainsi peinturé la couleur de peau n'est plus un problème, elle disparait. Les deux jeunes gens peuvent prendre du plaisir à s'unir sans aucune distinction raciale. Il suffisait d'y songer!
Pour terminer la question du racisme il fallait forcément parler du génocide indien. Un petit détour par l'Arizona où la caméra erre dans un village en ruines, presque lunaire, sans eau ni électricité où vivent dans la plus grande misère les derniers indiens, oubliés de tous, puis on
survole une communauté religieuse hindoue qui en transe chante Hare Krishna, sous l'oeil hagard d'enfants et de bébés.
Toujours au menu de ce mondo une étonnante banque du sang où les donneurs se font payer sans honte à la quantité donnée et à la qualité du sang (l'argent régit notre monde), la préparation (fake) d'un cadavre avant sa mise en bière durant laquelle la caméra a tendance à filmer sous la blouse des maquilleuses, le suicide d'un joueur de casino à Las Vegas retrouvé mort dans le désert. Le film se clôture par une visite dans un asile psychiatrique pour enfants durant laquelle Sergio Martino multiplie les gros plans sur les enfants difformes,
atteints de troubles psychiatriques graves avant de conclure sur une jolie note enchanteresse: un chant de Noël strident entonné par un groupe de trisomiques déguisé en arbres de Noel.
Bien supérieur à Mille peccati... nessuna virtu, Amérique nue et violente, sorti en France en 1972, porte bien son titre. Ce second essai de Martino est un mondo dans la grande tradition du genre, entre cruelle réalité et reconstitution studio qui cette fois s'intègre sans trop de ridicule dans le flot d'images non fictives. Certes le film prétend donner une image
sans fard de l'Amérique mais au bout du compte on pourrait être partout ailleurs dans le monde dit civilisé. America cosi nuda cosi violenta ne diffère en rien des autres mondo qu'ils soient européens, africains ou asiatiques. Et de l'Amérique Martino n'en donne de toute évidence qu'une image volontairement peu flatteuse axée sur la mort, la maladie, l'hyperviolence, le racisme et la sexualité déviante. Un bonheur pour les férus de mondo et amateurs de toiles aussi glauques que viles et malsaines. Amérique nue et violente possède ce coté fascinant propre au genre, une sous branche férocement exploitative représentative d'une époque révolue où le cinéma italien pouvait tout se permettre sans
quasiment aucune limite. De tels films sont aujourd'hui totalement inconcevables, la simple idée d'y songer serait déjà condamnable. Triste époque! Ils sont le témoignage de cette ère fabuleuse qui n'en finit pas de nous réjouir et ce second shocksploitation de Martino comblera les basses attentes du spectateur voyeur avec ses tueries d'animaux, ses carnages et morts non truqués, sa violence non feinte, son évident racisme, le tout commenté de manière toujours aussi hypocrite et solennelle. Les autres le vomiront tout simplement.
Pour information les commentaires sont récités par le grand Giorgio Albertazzi pour la version italienne, par Edmund Purdom pour la version anglaise. On remarquera au générique le nom d'un certain Michele Massimo Tarantini crédité en tant que producteur.