L'innocence fauchée: Duilio Cruciani
On l'avait découvert à tout juste 12 ans, les traits parfaits, un air espiègle de petit garnement avec ses grands yeux bruns lumineux, malicieux, son franc sourire et ses longs cheveux qui cachaient son front. L'enfant a grandi et s'est transformé en adolescent, certes un peu petit pour son âge mais l'air toujours aussi sympathique avec sa désormais traditionnelle coupe au bol. De lui ses partenaires disaient qu'il était un cadeau de Dieu qui fort malheureusement l'a trop tôt rappelé à lui. Dans notre série consacrée aux enfants acteurs du cinéma de genre italien penchons nous aujourd'hui sur le tragique destin de ce jeune comédien qui entre 1971 et 1975 eut son heure de gloire, le petit Duilio Cruciani.
Né en 1959 à Ostia Duilio est le second enfant d'une famille de quatre (un frère Paolo de six ans son ainé et deux soeurs, Lucia la plus âgée et Lucia la petite dernière). Issu d'un milieu très modeste rien ne prédestinait le jeune Duilio à devenir acteur. Comme la plupart des enfants comédiens c'est un hasard s'il s'est retrouvé devant les caméras. Il fait en effet sa première apparition au grand écran en 1971, à tout juste 12 ans, aux cotés de Laura Belli et Agostina Belli dans Faccia da schiaffi, une comédie musicale signée Armando Crispino. A cette époque Crispino était en quête d'un jeune acteur pour interpréter un des principaux protagonistes de son nouveau film et son choix se porta sur Duilio après avoir vu les essais de plusieurs autres candidats venu auditionner. A cette même période le jeune garçon
travaille aussi pour un programme télévisé destiné à la jeunesse dans lequel il donnait vie au personnage de Paolino Perdifiato, un enfant qui passe son temps à courir et doit manger beaucoup de biscuits pour reprendre des forces. Mais c'est surtout le téléfilm de Alfredo Gianetti, Correva l'anno di grazia 1870 qui va le rendre populaire en Italie. Dans ce bouleversant drame historique Duilio y joue le fils de Anna Magnani et Marcello Mastroianni. Le petit acteur va tisser des liens très forts avec Anna Magnani qui durant tout le tournage le considéra comme son véritable fils tant il était chaleureux et humain. Son décès le jour même de la sortie du film fut un choc pour Duilio qui eut beaucoup de mal à se remettre de sa disparition.
Malgré cette tragédie Duilio va tout de même continuer sa petite carrière d'acteur. Il apparait non crédité dans La longue nuit de l'exorcisme de Lucio Fulci, il est Mario l'enfant qui fume une cigarette, et la décamérotique de Claudio Racca Il tuo piacere è il mio. En 1974 il est à l'affiche du thriller L'homme sans mémoire de Duccio Tessari avec Luc Meranda. Il est le jeune voisin de Senta Berger, sa prof de natation et meilleure amie dont il est secrètement amoureux. Il est ensuite le meilleur ami du petit héros d'un lacrima movie signé Sergio Martino, La bellissima estate, l'histoire d'un enfant que sa mère veut protéger après la mort tragique de son père sur un circuit de courses automobiles. En 1975 il retrouve Tomas Milian qu'il avait côtoyé dans La longue nuit de l'exorcisme pour Il giustiziere sfida la citta / Bracelets de sang de Umberto Lenzi. Il y interprète le fils du meilleur ami de Tomas. On
notera que Duilio y porte le même survêtement bleu qu'il avait dans L'homme sans mémoire. Duilio a grandi. Il est désormais un adolescent mais il n'a cependant rien perdu de son charme candide, de son naturel. La même année il est à l'affiche de la comédie western de Enzo Castellari Cippolata colt. Il est Caligola, un petit bandit malicieux qui avec son petit frère Néron sera d'une grande aide pour Terence Hill. Ce sera sa dernière apparition au cinéma avant un silence de quasiment quatre ans. Le constat est une fois de plus flagrant. Lorsque les enfants stars grandissent ils sont de moins en moins sollicités. Duilio Cruciani n'échappe pas à cette triste règle. Il sombre lentement mais sûrement dans l'oubli. Il
réapparait seulement en 1980 dans L'educatore autorizzato, un drame réalisé par Luciano Odorisio. Ce sera cette fois son ultime rôle puisqu'il met un terme définitif à sa carrière de comédien cette année là et retrouve l'anonymat.
Son nom resurgira malheureusement dans la presse italienne en janvier 1984 non pas pour un éventuel retour au cinéma mais dans les faits divers. Duilio est condamné à quelques mois de prison ferme avec permission de sortie. Malheureusement à la fin d'une de ces permissions Duilio ne se présenta pas à la prison. Considéré comme fugitif il est activement recherché par ma police. Il est retrouvé mort d'une overdose d'héroïne le 16 janvier 1984 dans les toilettes d'une auberge romaine près de la gare Termini, haut lieu de prostitution et
refuge des toxicomanes. Que s'est il donc passé pour que l'ex-enfant chéri de l'Italie, ce chérubin qui croulait sous les compliments de ses partenaires, cet enfant de l'amour issu d'une famille aimante, attentionnée, en arrive là? Pour savoir comment les faits se sont produits il faut se rapporter à la presse d'alors. Le samedi 14 janvier Duilio a été vu en compagnie d'un autre jeune homme, Riccardo Notarpippo, 25 ans, alors qu'ils entraient dans l'auberge, chacun un petit sac à la main, une seringue dans la poche. Personne ne les a vu les ressortir. Leur corps sans vie furent retrouvés le lendemain quasiment côte à côte gisant sur le sol à l'ouverture de l'établissement. Les autorités ne purent que constater le décès deux jours plus tôt. Les deux garçons se connaissaient ils? Etaient ils amis? Quelles ont été
les circonstances de leur mort? Autant de questions qui ne trouvèrent pas forcément de réponse. Deux noms qui se rajoutèrent simplement à la trop longue liste des jeunes victimes de la drogue dans l'Italie des années 70 et 80. Une bien triste fin pour ce garçon dont on gardera en mémoire le franc sourire et l'air malicieux qui nous avait tant séduit comme on gardera à l'esprit ce magnifique compliment que lui avait adressé Anna Magnani, cette éloge qui le définissait si brillamment: Duilio était un cadeau de Dieu.