La messe dorée
Autres titres: La profonda luce dei sensi / Nella profonda luce dei sensi / The golden mass
Real: Beni Montresor
Année: 1975
Origine: France / Italie
Genre: Drame / Erotique / Fantastique
Durée: 89mn
Acteurs: Lucia Bosé, Stefania Casini, Maurice Ronet, Yvan Morgan-Jones, Bénédicte Bucher, Trille, Benoit Ferreux, Gérard Falconetti, Eva Axen, Brigitte Rouan, Katia Tchenko, Raphaël Mattei, Sylvie Matton, David Pontremoli, Cachorro, Pierre Casadei, Marion Womble, Pascal Bonafoux, Francis Manot, Lorenzo Piani...
Résumé: Un couple de bourgeois donne une réception dans leur château. Les invités arrivent, se mettent à table pour ingurgiter un repas gargantuesque. Progressivement chacun se libère l'esprit puis le corps. Le couple attend la venue de celui qu'il appelle le Messie. A son arrivée les bacchanales peuvent débuter. Le Messie entraine la fille du couple dans une salle puis elle est emmenée sur l'autel afin d'y être dépucelée...
Disparu en 2001 le véronais Beni Montresor a beaucoup oeuvré pour le cinéma italien dés les années 50. Il fut scénariste et costumier sur bon nombre de films dont I vampiri de Freda mais également décorateur. Il s'orienta avec succès par la suite vers une carrière particulièrement riche dans le domaine de l'opéra lyrique. Il fit une brève parenthèse dans la réalisation au début des années 70 en mettant en scène deux films, le premier en 1971, Pélerinage, et le second, La messe dorée, une sorte de Graal sacré devenu aujourd'hui quasi invisible dont il n'existe qu'une rare et médiocre copie sortie de nulle part, une version
française bizarrement sous titrée en anglais.
Hélène, bourgeoise mariée à David, donne une grande fête dans son château, une demeure baroque et étrange située en campagne aux abords de Paris. Les invités d'Hélène, tous jeunes et beaux, commencent à arriver progressivement, une faune hétéroclite, décadente, débauchée tandis que Marie-Odile refuse de sortir de sa chambre, apparemment malade. Le repas gargantuesque débute. Les corps se lâchent, les esprits se libèrent. On danse. Hélène et David attendent celui qu'ils appellent le Messie, un jeune garçon aux longs cheveux frisés nommé Raphaël qui semble être aussi l'amant d'Hélène. Le Messie arrive enfin,
observe le sabbat du haut d'un balcon. Hélène l'aperçoit et le rejoint, heureuse. Lascifs, les invités s'accouplent dans le salon. Le père désire son fils, se retient, l'habille de sa toge puis blasé part se coucher après avoir tenté de séduire sa fille cadette, une adolescente elle aussi attirée par ce père incestueux et frustré. Raphaël rejoint Marie-Odile, apprivoise la sauvageonne puis l'entraine dans une salle. Il l'apprête, l'habille pendant que Hélène jette la jeune femme qui a rejoint son fils dans le lit maternel, furieuse, jalouse. Pierre, le mari de Laura, est tuée sur son lit, afin qu'elle puisse vivre son homosexualité avec son amante Loulou en toute quiétude. Lors d'une procession quasi religieuse Marie-Odile qui semble
être la fille ainée du couple est portée jusqu'à un autel de pacotille recouvert d'un drap blanc. Puis telle elle une sainte elle est caressée, touchée, adorée. En guise de sacrifice elle est contrainte de se déchirer l'hymen avec son doigt. Une jeune invitée au crâne rasée se couvre le visage du sang virginal. L'orgie peut commencer. Hélène, comme folle, sort de la pièce en courant, hystérique. Elle rejoint son fils, lui fait une fellation, lui lèche les pieds avant de lui faire l'amour avec passion. Le Messie qui observe la scène par l'entrebaillement de la porte s'effondre de douleur.
Difficile de résumer La messe dorée, une coproduction franco-italienne, tant il n'y a guère de
choses à raconter au point de vue de l'intrigue. Elle n'est qu'une succession de faits prétexte à alimenter cette fête païenne, cette célébration du corps et de l'esprit à travers une immense orgie carnavalesque précédant un repas digne de La grande bouffe. Impossible de ne pas penser bien sûr au fabuleux La philosophie dans le boudoir / Sade 76, petit chef d'oeuvre français réalisé quatre ans plus tôt par Jacques Scandelari également intitulé Le décaméron français. Mais là où Scandelari installait certes avec maladresse un parcours initiatique guidé par un fil conducteur La messe dorée prend très rapidement des allures de fourre-tout pseudo philosophique qui n'est jamais qu'une nouvelle illustration de la
décadence et de la perversion de la bourgeoisie qui n'en finit plus de s'ennuyer, un thème alors très à la mode dans le cinéma italien.
On reconnait d'emblée le goût de Beni Montresor pour les décors d'opéra, le faste, les costumes flamboyants et son penchant pour l'érotisme. Ses personnages haut en couleur, semblent tous sortis d'une fête de Carnaval, outrancièrement maquillés, vêtus de parures aussi somptueuses qu'extravagantes, tout en strass et paillettes à l'exception de la jeune Marie-Odile, nue d'un bout à l'autre du métrage. Ils se retrouvent tous autour d'une table copieusement garnie de mets extravagants dans un salon baroque où soudain résonne une
musique médiévale entêtante sur laquelle les invités se mettent à danser frénétiquement entrainés par la maitresse de maison, sorte de grande prêtresse de la libido. Malheureusement tout sonne factice contrairement à La philosophie dans le boudoir. Des décors clinquants font toujours illusion mais posés au coeur d'un récit vide de sens ils n'apportent rien si ce n'est un joli effet aussi visuel qu'illusoire servant surtout un goût prononcé pour le trash.
Qu'a donc voulu dire Montresor? Est ce la simple illustration d'un couple de bourgeois décadent, incestueux, préparant le dépucelage de leur fille qu'il veulent le plus réussi
possible? une mise en image d'une libido délirante qu'on désire fêter de manière explosive mais en se satisfaisant d'attouchements somme toute gentillets noyée dans tout un cérémonial mystique pseudo religieux? La représentation de l'amour dans ce qu'il a de plus libre mettant ainsi en avant les propos de Hélène: "Nous sommes tous frères. Nous sommes amour, la vie est amour." Chacun pourra y voir un peu tout et n'importe quoi tant le propos du cinéaste demeure obscur et les questions s'accumulent. En fait Montresor ne donne que très peu de clés. Beaucoup de points restent une énigme comme notamment la présence de ce garçon appelé Messie que le couple attend avec angoisse. Qui est il
vraiment? Quel est son rôle? Quelle est la relation qui existe entre lui et Hélène? Est ce son amant? Il en va de même pour la plupart des personnages tous confus au niveau des liens qui les lient. Hélène est folle amoureuse de son fils qui semble être amoureux d'elle aussi mais il y a également une attirance trouble entre lui et son père, quasiment inexistant dans le scénario. On soupçonne aussi une homosexualité latente entre lui et son meilleur ami mais tout reste à l'état foetal. Pourquoi cette haine entre Hélène, David et leur fille cadette trop fantôme? Pourquoi David est il si blasé? Pourquoi disparait il en plein milieu du métrage? Il ne faut guère compter sur les dialogues pour éclairer notre lanterne puisque le film en est
quasiment dépourvus.
On pourrait se fier aux citations qui truffent le film mais, tout aussi obscures, elles n'apportent que peu d'éléments de réponse. Il s'ouvre ainsi sur une phrase de Sainte Thérèse "Anxieuse de me perdre en toi je désire mourir" et se finit par cette dédicace "Dédié à ma mère. Une des invitées écrit sur une assiette, "Ceci est mon corps, mange le". Quant au père il déclare que pour lui et son épouse il n'existe aucun Messie. Les références littéraires sont évidentes. On y trouve évidemment en bonne place George Bataille mais aussi le Marquis De Sade et Pierre Klossowski pour sa Monnaie vivante dont les photos d'illustration furent prises par le célèbre photographe Pierre Zucca dont on sent ici
l'empreinte. Montresor connait visiblement ses classiques mais ne parvient pas à les utiliser à bon escient. La messe dorée n'est qu'un délire érotico-onirique sans véritable signification, une sorte d'arabesque qui semble dissimuler quelque chose de précis qu'on ne parvient jamais à vraiment mettre en lumière.
Restent donc l'aspect visuel et l'érotisme pour donner un réel intérêt à cette Messe dorée. Et l'érotisme est bien entendu le point fort de cette bizarrerie même s'il n'est pas aussi salace et malsain que dans l'oeuvre de Scandelari. Baisers et étreintes saphiques, accouplements à deux ou à trois, relations incestueuses, sont tout naturellement au programme que
Montresor agrémente de pointes plus osées dont de brefs plans de sexe en érection (la masturbation de David Pontremoli) de nus frontaux féminins, de gouttes de sperme sans oublier la surprenante fellation de Hélène à son fils qui sans être hardcore est cependant très réaliste.
L'affiche est elle aussi surprenante. Comment certains acteurs de renom ont-ils pu se retrouver au beau milieu de ces bacchanales bourgeoises? Ainsi a t-on le plaisir de voir la grande Lucia Bosé en maitresse de maison et reine de cérémonie qui finira par sucer son propre fils lors d'une étonnante séquence. Apparemment égaré dans une histoire qu'il ne
comprend pas vraiment, Maurice Ronet n'a que quelques lignes à réciter et disparait au milieu du film (Ronet était déjà au générique de quelques films d'exploitation italiens dont le rarissime Perche si uccidono le merde / La merde), Benoit Ferreux, l'inoubliable adolescent du sulfureux Souffle au coeur et Stefania Casini, extraordinaire d'élégance et d'audace complètent la distribution. Autour d'eux gravitent des noms tels que François Dunoyer essentiellement actif à la télévision vu aussi dans cet OVNI qu'est Spermula, Sylvie Matton, l'épouse de Charles Matton, l'auteur dudit Spermula. La virginale Marie-Odile est interprétée par la suédoise Eva Axen, jeune égérie de Visconti vue par la suite en victime dans Suspiria
(la fille tuée sous l'orage). Nue durant 90 minutes elle trouve là le rôle le plus sulfureux de sa carrière. C'est le regretté Gérard Falconetti, décédé à tout juste 35 ans, qui joue le rôle d'Alain, aperçu entre autres dans A cuore freddo, Les héroïnes du mal puis dans quelques bandes plus classiques, Le genou de Claire, La maitresse du lieutenant français.
Rythmé par une fort jolie partition musicale signée Severino Gazzelloni faite de percussions, de flutes et de cithares La messe dorée, sorti en salles en avril 1975 avec une jolie interdiction aux moins de 18 ans, sera laissé au seul jugement du spectateur. Il suscitera soit un ennui mortel peu aidé par une mise en scène qui manque sérieusement de rythme,
soit l'enthousiasme mais peut être pas l'euphorie. L'aimer ou ne pas l'aimer? Qu'en penser? Chacun le prendra comme il le souhaite selon ses penchants coupables, l'interprétera comme il l'entend, y puisera ce qu'il veut bien y voir et se forgera ainsi sa propre opinion.
Quelque soit l'idée qu'on en aura, ses défauts, ses maladresses, ses obscurités, son coté qu'on peut juger pompeux le film de Montresor coincé entre Salomé de Carmelo Bene, Spermula et La philosophie dans le boudoir est cependant une réelle curiosité, un exemple d'un cinéma aujourd'hui totalement impensable dont on retiendra l'élégance, l'érotisme pointu, les costumes fascinants, cette atmosphère assez spéciale même si elle manque de
cette touche de poésie qui donnait une âme au film de Scandelari et quelques scènes d'anthologie (la dégustation du poulet, la fellation de Lucia Bosé, la magnifique et très sensuelle scène lesbienne entre la hollandaise Trille et Stefania Casini, la plus osée que Stefania ait jamais tourné, la cérémonie finale, clou du film, et la danse autour de la table...). Cette messe est à découvrir aussi rare est elle aujourd'hui par tout amateur de ce type de cinéma.
Il est important de signaler qu'il existe plusieurs versions du film. Sont à éviter les différentes versions italiennes plus ou moins censurées donc trash, différentes de la française,
intitulées La profonda luce dei sensi ou Nella profonda luce dei sensi selon les copies. Montresor refusa jadis ses versions dont il rejeta également la paternité. La seule et unique version, celle que le cinéaste tourna et reconnut, est la française, celle là même qu'on trouve avec beaucoup de chance dans les tréfonds des tiroirs d'oeuvres perdues sous forme d'une énigmatique bande vidéo sous titrée dans la langue de Shakespeare.