Titicut follies
Autres titres:
Real: Frederick Wiseman
Année: 1967
Origine: USA
Genre: Shockumentary
Durée: 84mn
Acteurs:
Résumé: Frederick Wiseman a durant plusieurs semaines filmé l'intérieur d'un établissement psychiatrique dans l'Amérique des années 60 afin d'y montrer outre la folie sous ses formes les plus terrifiantes les traitements sadiques et inhumains dont sont victimes les internés de la part des gardiens et du personnel soignant...
Considéré depuis longtemps comme une oeuvre phare du cinéma documentaire, vu bien souvent comme un modèle du shockumentary, Titicut follies reste pour beaucoup encore aujourd'hui un film phare de ce courant cinématographique très controversé qui cette fois nous entraine dans une vertigineuse plongée au coeur même des hôpitaux psychiatriques de l'Amérique des années 60. Titicut follies vaut il vraiment la réputation qu'on lui a donné et qu'en est il aujourd'hui plus de cinquante ans après sa réalisation?
Titicut follies c'est avant tout une dénonciation, terrible, inouïe en cette fin de décennie, celle
du traitement réservés aux internés, aux malades mentaux au sein d'un établissement psychiatrique particulièrement célèbre situé sur Titicut avenue, celui de Bridgewater dans le Massuchussets, qui est également un pénitencier où sont enfermés toutes sortes de psychopathes et d'aliénés. Flanqué de son chef opérateur John Marshall, Wiseman alors professeur à l'université de Boston, auteur d'une cinquantaine de documentaires, va durant plusieurs semaines filmer la vie à l'intérieur de cet hôpital, montrer non seulement sans retenue les malades mais également les gardiens et le personnel soignant afin de montrer les traitements inhumains dont patients et prisonniers sont les victimes au quotidien. Plus
qu'un simple documentaire sur les maladies mentales et ce qu'on appelle familièrement les asiles Titicut follies allait pour la première fois étaler au grand jour ce qu'on cachait soigneusement au public, ce que personne aurait oser imaginer mais également mettre le spectateur face à la véritable folie, celle qui fait peur, celle qui dénature, défigure l'être humain, la folie sous ces formes les plus terrifiantes qu'on se refuse d'imaginer. Le choc fut si brutal que l'Amérique interdit le film dés sa sortie et le séquestra pendant plus cinquante ans avant qu'il ne réapparaisse au tout début des années 90 et puisse enfin être diffusé.
Titicut follies peut se voir sous deux angles. Le premier est tout simplement la vision des
malades eux mêmes, une sorte d'inventaire sordide des diverses pathologies (schizophrènes, paranoïaques, pervers sexuels, névroses...), des comportements de chacun détaillés de façon méticuleuse dans tout ce qu'ils peuvent compter en grimaces, postures, convulsions et autres gestes aussi incohérents que saccadés ou détraqués, des malades rongés par leurs obsessions éructant face à la caméra des propos incohérents, répétitifs. Wiseman filme de façon brute la maladie dans ce qu'elle a de plus effroyable, miroir de nos peurs les plus profondes. C'est l'altération de l'Etre humain dans toute son horreur qu'a choisi de filmer le cinéaste qui de surcroit opte pour un noir et blanc maladif afin d'accroitre
encore un peu plus le sentiment de malaise. Il tue la normalité au profit de l'anormalité salissant ainsi ce coté lisse, cette perfection dont est si friande l'Amérique. Il brise violemment en quelques minutes seulement tous les codes et toutes les valeurs qu'elle s'évertue si brillamment de véhiculer à travers l'image si pure qu'elle veut donner de sa nation. Le choc que fut Titicut follies pour le peuple américain est donc fort compréhensible comme la vague de haut le coeur qu'elle suscita obligeant la censure, écoeurée, à séquestrer les bandes.
Le second angle sous lequel le film peut être vu est celui de la dénonciation pure et simple
des pratiques inhumaines dont sont victimes les internés, des pratiques jusqu'alors insoupçonnées, soigneusement dissimulées au public qui était loin d'imaginer les traitements sadiques réservés aux malades. Baladés de cellules en cellules, totalement nus, ils sont le plus souvent les malheureux jouets de gardiens et de spécialistes dénués de toute âme, des hommes sans pitié ni compassion qui les traitent en animal, les humilient dans des locaux insalubres, vétustes où plane sans cesse l'ombre de la mort. Au final, ces hommes en uniformes ne sont pas loin d'évoquer les nazis d'hier et Bridgewater fait définitivement songer aux camps SS. Et la question se profile très vite. Qui sont donc les plus
fous? Les malades eux mêmes ou ces hommes, ces hommes proches de l'inquisition qui sont tout aussi aliénés que leurs patients? De qui doit on avoir le plus peur?
Entre internement et incarcération, entre soins, punitions et châtiments la frontière est souvent bien floue, très ambiguë. Le plus ironique est peut être que la censure et les autorités évoquèrent la violation de la dignité des patients afin d'interdire le film. Mais qui viole cette digité? Wiseman dans sa quête d'information vérité ou les gardiens, les médecins, les psychiatres en quête de cobayes, de victimes? Qui aurait du être condamné ici? Le réalisateur porte un regard froidement lucide, implacable sur les conditions de vie de
Bridgewater, sur la folie au sens propre du terme qui y règne, pas celle des malades mais celle de gens dits normaux. Par extension cette pellicule ravageuse n'est que le reflet de toutes les tares d'une nation devenue elle même un asile d'aliénés. Titicut follies à travers les commentaires élucabratoires, les délires souvent inconscients des détenus qui évoquent le Vietnam, Kennedy, la bombe, la guerre froide, la religion... n'est jamais l'effarant visage de cette Amérique. Inacceptable pour les autorités judiciaires qui demanderont la destruction des bandes tournées par le documentariste.
Qu'en reste t-il alors aujourd'hui? Enfin libre de sortie cinquante ans plus tard sous condition
extrême que Wiseman rajoute en commentaire que depuis les conditions de vie ont changé dans ces établissements (un panneau volontairement moqueur, cynique, que le professeur plaça en fin de générique) Titicut follies demeure certes un reportage féroce qui en mettra plus d'un mal à l'aise mais l'impact de la dénonciation est bien évidemment moins fracassante qu'en 1967. Murs et portes se sont ouverts depuis, les révélations ont fusé amenuisant l'effet choc du film même si cela n'enlève rien à son inhumanité. En tant que shockumentary il y eut bien plus effroyable. Les plus endurcis risquent donc d'être déçus par un contenu souvent répétitif qui risque d'assez rapidement ennuyé d'autant plus que
Wiseman ne cherche pas à donner ni dans le sensationnel encore moins la complaisance. On est ici loin de la force morbide, de l'horreur presque sans limite des mondos italiens, de leur barbarie, de leur voyeurisme sexuel la plupart du temps gratuit. Seules quelques scènes ont cette aura macabre tant recherchée notamment celle où un patient est conduit à la morgue et surtout celle où un vieux malade malingre refusant de se nourrir est intubé, les aliments introduits de force dans son nez grâce à un tuyau. On retrouve ce même patient mort quelques temps plus tard les yeux bourrés de coton afin de le préparer pour son ultime voyage.
Titicut follies saura émouvoir et choquer les plus faibles, les âmes les plus sensibles, ceux que le sujet touche. Les autres n'y verront qu'un simple reportage vérité quelque peu ennuyeux guère plus révoltant que ceux qu'on peut voir sur certaines chaines télévisées et lui préféreront d'autres formes de mondos et shockumentary bien plus pervers et voyeurs. Titicut follies quelque soit le coté où on se place mérite cependant un visionnage ne serait ce qu'à titre informatif et pour son statut d'oeuvre culte sulfureuse.