Space is the place
Autres titres:
Real: John Coney
Année: 1972
Origine: USA
Genre: Science fiction
Durée: 82mn
Acteurs: Sun Ra, Barbara Deloney, Raymond Johnston, Erika Leber, Christopher Brooks, La Shaa Stallings, Cinthia Ayala, Morgan Upton, Clarence Brewer, June Tyson, Walter Burns, Tiny Parker, John Gilmore, Johnny Keyes, Tom Dahlgren, Karen McMurray, Eloe Emoe...
Résumé: Lors de ses voyages galactiques Sun Ra a découvert une nouvelle planète sur laquelle il souhaite installer tous les noirs d'Oakland. Il se propulse dans le temps et débarque à Oakland en 1943 où il entame une partie de cartes avec le Seigneur du Mal Overseer. L'enjeu en est l'avenir du peuple noir. Tout en disputant la partie Ra se projette au début des années 70 et prépare sa campagne afin de persuader les Noirs de le suivre sur cette planète...
Avant de parler du film lui même il est nécessaire de présenter son principal interprète, Sun Ra, puisque toute l'intrigue de ce trip cosmique philosophique repose sur le personnage mystique qu'il s'était crée. Poète, musicien et pianiste de jazz afro-américain Sun Ra a élaboré tout un concept spatio-temporel totalement innovateur devenu une véritable philosophie que n'aurait pas renié William S. Burroughs. Basé sur la logique et le pragmatisme, son concept empruntait bon nombre de ses éléments à divers courants, mythes et autres arts divinatoires notamment l'Ancienne Egypte, la franc-maçonnerie, la
numérologie, les Rose croix, la Kabbale, certaines formes d'occultisme et le nationalisme noir. Plus qu'une forme de pensée ce concept était un véritable univers, une galaxie en perpétuel mouvement et expansion que Ra, entouré de son groupe Arkestra, fit vivre à travers sa musique durant des décennies. Le film de John Coney est tout simplement une tentative de mise en images du monde et des idées de Ra via une oeuvre difficilement résumable.
Porté disparu depuis sa dernière tournée mondiale en 1969 Sun Ra est parti effectuer un voyage spatial vers une nouvelle planète sur laquelle il décide de transporter le peuple noir américain. Le moyen de transport qu'il choisit est la musique. Il fait un retour dans le temps,
débarque en 1943 à Oakland et joue du piano dans un club. Il y rencontre le maléfique Overseer, l'incarnation du Mal qui a établi son fief en plein désert, qu'il défie aux cartes. L'enjeu sera l'avenir des Noirs.
Ra part pour le futur, le début des années 70, à bord de son vaisseau spatial. Il atterrit à Oakland où il fait part de ses projets au peuple. Il ouvre un centre, le Outer space employment agency dont le slogan est Space is the place, afin de recruter les gens susceptibles de le suivre sur la planète qu'il a découvert. Avec l'aide de Jimmy Feys, le bras droit et âme damnée de Overseer qui a pour mission de faire échouer les projets de Ra, il
enregistre un disque et organise un concert pour mieux faire passer son message. Pendant ce temps la partie de cartes entre Ra et Overseer se poursuit. Le Mal semble l'emporter. Ra a de plus en plus de mal à se faire entendre. Les Noirs doutent et l'accusent d'être un illuminé qui a inventé ce voyage spatial pour booster ses ventes d'albums. Il est finalement kidnappé par les hommes de la NASA qui souhaitent découvrir ses secrets pour se déplacer dans l'espace-temps. Délivré par trois adolescents Ra va pouvoir donner son concert. Malheureusement les hommes de la NASA tentent de l'assassiner alors qu'il est sur scène. Ra et ses amis disparaissent, les noirs d'Oakland s'évanouissent ensuite un à un dans l'air
et réapparaissent dans le vaisseau spatial de Ra. Overseer perd la partie et tout pouvoir, le vaisseau décolle et s'enfonce dans l'espace intersidéral. La Terre explose.
L'objectif de Coney était de donner vie au monde mythologique de Sun Ra en mêlant deux de ses principales composantes, l'espace et la vie extra-terrestre et les personnages légendaires de l'Egypte Ancienne. Le but est atteint et même sans connaitre Sun Ra Space is the place ne devrait pas laisser indifférent le novice surtout s'il est amateur des films de science fiction des années 50 et 60. C'est en effet un bel hommage que leur rend Coney à travers cette bande déjantée qui s'apparente également à la Blacksploitation. Les références
sont multiples même si l'aspect exploitatif est peu prononcé. Space is the place traite de façon évidente de la place des Noirs dans une société régie par les Blancs, des pouvoirs qu'ils veulent bien leur accorder, de leurs racines, leur culture, leur envie de liberté dans un monde qui les opprime. Le personnage de Overseer est sur ce point intéressant. Présenté comme l'ennemi des Noirs malgré sa couleur il est surtout un instrument aux mains des Blancs qui l'utilisent pour assouvir les afro-américains. Il n'est jamais qu'un objet de servitude, un esclave moderne. Quant à son espion Jimmy il incarne la part de blanc qui existe en chaque noir et vice versa. C'est après que Ra l'ait débarrassé de sa partie noire
qu'il pourra accéder au vaisseau et partir avec lui pour ce nouveau monde.
Sous son air de délire science-fictionnesque Space is the place est plus complexe qu'il n'y parait dans les thèmes et le discours tenu sont importants. Malheureusement Coney n'a pas su utiliser toutes les possibilités qui s'offraient à lui et reste définitivement au stade de la comédie musicale spatio-temporelle farfelue, de la série B de science fiction dont on retiendra essentiellement le visuel, pris par la beauté et la folie des costumes et des maquillages très inspirés de l'Egypte pharaonique, les effets spéciaux basiques, naïfs mais si rigolos (le vaisseau spatial en forme de globes oculaires ou de jambes), le surréalisme
de quelques scènes (Ra et Overseer jouant aux cartes en plein désert, la planète découverte avec ses spermatozoïdes volants en scaphandre, ses fleurs en forme de langue...), la folie de quelques trouvailles et l'atmosphère délicieusement Black, un bonheur pour les amoureux de coupes afro 70s.
En tête d'affiche on retrouve bien entendu Sun Ra qui joue son propre rôle entouré de son groupe Arkestra. A ses cotés Ray Johnson, le colosse noir de L'inspecteur Harry interprète le Seigneur du Mal. Pour l'anecdote l'oeil exercé de l'amateur reconnaitra Johnny Keyes non crédité, jeune acteur de couleur qui fit ses débuts dans Derrière la porte verte et devint un
des comédiens noirs habitués aux productions hardcore de l'époque.
Réalisé en 1972 mais sorti deux ans plus tard en 1974, Space is the place disparut très vite de la circulation après quelques projections seulement pour ne ressurgir que bien des années plus tard sous forme d'une édition vidéo fortement tronquée d'une vingtaine de minutes. Il fallut attendre 2003 pour qu'un DVD fasse justice au film et le sorte enfin en intégralité soit 82 minutes environ.
Devenu aujourd'hui une sorte de film culte au sein de l'afroculture avant tout Space is the
place est une pièce phare dans l'oeuvre de Sun Ra que vénéreront bien sûr ses inconditionnels. Mais même sans connaitre ni ce pape de la musique noire ni sa philosophie on trouvera un certain plaisir à visionner cette utopie pelliculaire pour sa kitscherie, son esthétique démente et son message culturel. Voilà un mix réussi entre la science fiction et la blacksploitation rythmé par les sons et les chants de Sun Ra qui satisfera les fans des deux genres.