Franco Caracciolo: le petit garçon qui voulut être une petite fille
A la limite de la caricature il fut une des plus extravagantes représentation de l'homosexuel telle que l'Italie aimait en véhiculer l'image à travers un cinéma populaire typiquement transalpin. Femme prisonnière d'un corps d'homme cet incroyable comédien au physique aussi inoubliable que son jeu souvent outrancier fait aujourd'hui partie des incontournables figures de l'univers cinématographique gay italien des années 70 et 80. Un physique étonnant, une personnalité étonnante, une vie étonnante, un parcours étonnant, celui d'une pétulante folle sortie de sa cage dorée, celui du pétillant Franco Caracciolo.
Né le 6 mars 1943 à San Martino in Pensilis, Francesco Sergianni Caracciolo dit Franco Caracciolo est issu d'une longue et très ancienne lignée au sang bleu puisqu'à sa naissance il a le titre de Prince d'Avellino, ville située en Campanie, et de la commune de Torchiarolo en Brindisi. Parmi ses célèbres ancêtres, tous homonymes, on trouve San Francesco di Caracciolo, fondateur de l'ordre religieux des Carocciolini en 1588 et de l'amiral napolitain Francesco Caracciolo mort en martyr en 1799. Marcello, son père, docteur en lettres, en philosophie et homme de loi travaille au ministère de l'éducation. C'est pour dire qu'on ne rigole pas chez les Caracciolo encore moins lorsque tout petit déjà Franco affiche sa différence en cultivant ses tendances homosexuelles. Affolés ses parents décident de remettre l'enfant entre les mains de la science afin de le guérir de cette terrible maladie. La science porte le nom du Professeur Nicola Pende qui promet aux parents dépités de faire de Franco un véritable homme en le soumettant à un traitement sévère plusieurs mois durant. Cela pourra faire rire mais nous sommes dans les années 50 dans une société qui considère encore l'homosexualité comme une maladie honteuse dont on peut se débarrasser comme on élimine les virus d'une grippe. Le traitement du bon Professeur consiste à faire prendre à Franco des douches glacées, lui faire faire du sport de façon intensive, le réveiller aux aurores et lui faire ingurgiter des doses massives d'hormones. Au bout de six mois de soins l'homme de science annonce, triomphant, que Franco est guéri. Ses parents lui ont confié un garçon-fille il leur rend un véritable homme! Avant de quitter le miraculé, le scientifique lui dit qu'un jour s'ils étaient amenés à se croiser il le remercierait d'avoir fait de lui un homme... une phrase que n'a jamais oublié l'intéressé puisque bien des années plus tard en racontant cette anecdote insensée il aura cette fabuleuse réplique: J'aimerais beaucoup revoir cet homme et je lui dirais (Franco prend alors l'intonation d'une Zaza en folie); Merci Professseeeeeeur. Vous avez fait de moi... une véritable femme!
En 1962 alors âgé de 19 ans, Franco annonce à la presse que malgré ses origines princières qu'il reniait plus ou moins il souhaite travailler. Il commence à trainer sur les plateaux de cinéma où il se fait assez vite remarquer. On l'y surnomme le nain né d'une mandragore à cause de sa taille et de son incroyable allure. Son ami de toujours Massimo Consoli le décrivait comme une folle perdue dégarnie avec quatre poils au menton et un cul tombant de jeune oie. Ses deux premières apparitions au grand écran en 1963 il les doit à Federico Fellini qui lui offre un micro rôle dans 8 1/2 et Dino Risi dans Les monstres qui fera de nouveau appel à lui en 1968 pour Il profeta. Pendant toute la première partie de sa vie d'acteur, Franco se contentera de furtives mais significatives apparitions la plupart du temps non créditées dans une multitude de films. Entre 1963 et 1991 Franco tournera dans une quarantaine de films dont Que fais tu grande folle, La tosca, Remo et Remolo, Nerone, La mort caresse à minuit et La queue du scorpion.
Dés 1976 avec l'arrivée en force sur les écrans de la sexy comédie Franco se retrouve au générique de toute une série de films de ce type dans lesquels il interprète le plus souvent des rôles d'homosexuels efféminés, de travestis et de femmes. Franco va bien sûr se spécialiser dans ce genre de personnages qui n'est jamais que le reflet de sa vie au quotidien. On le voit entre autres aux cotés de Edwige Fenech dans La toubib aux grandes manoeuvres et La toubib prend du galon dans lequel il joue une jeune fille qui séduit Alvaro Vitali qu'il retrouvera par la suite dans plusieurs Pierino, Le trou aux folles, Les péquenots, Ensemble c'est un bordel séparés c'est un désastre et Dieu les fait et les ensemble.
Outre la sexy comédie populaire on peut apercevoir Franco toujours dans des rôles d'homosexuels et de travestis dans les polars Pas folle le flic, un des films de la série des Nico incarné par Tomas Milian, Assassino sul Tevere toujours avec Milian, Bye bye darling et le giallo mâtiné de nunsploitation La petite soeur du diable, le Caligula de Tinto Brass et la comédie érotique La compagna di viaggio avec Marina Frajese. Beaucoup se souviennent de Franco pour son rôle dans Pénitencier de femmes de Bruno Mattei dans lequel il joue un prisonnier très efféminé qui sera violemment passé à tabac et tué par ses compagnons de cellule. Franco tournera son ultime film en 1991, Vacanze di natale 91, aux cotés de Christian de Sica.
Pour la télévision, il fera partie du populaire programme Indietro tutta lors de la saison 1987/1988 pour lequel déguisé en femme, il fera partie du groupe de danseuses Le ragazze Cocodé avant d'intégrer Le sorelle Bandiera, un trio de comiques travestis dans lequel il remplacera un temps Tito Le Duc.
Plus qu'au cinéma c'est avant tout sur la scène que Franco s'est illustré durant de nombreuses années tout en étant un des militants gay les plus actifs en Italie. Non seulement il va introduire dans la langue italienne des termes nouveaux devenus aujourd'hui des incontournables dans le milieu gay mais il va également se produire ou simplement apparaitre dans les lieux homosexuels les plus branchés de Rome mais également les endroits les plus glauques de la vie gay de la capitale: cinéma de quartiers enfumés, discothèques de banlieue, lieux de drague au fond d'impasses sombres ou le longs de carrefours où pullulent garçons aussi sauvages que faciles et jeunes prostitués. Franco vit son homosexualité à mille à l'heure. Connu pour son coté transgressif, l'Italie n'est pas choquée de le voir poser nu pour une série de photos pornographiques pour la revue OS à l'origine du Club della pippa. A cette occasion il se fait appeler Greta Ruspoli. Dés la fin des années 70 il apparait régulièrement sur la scène des premiers clubs et cabarets gay romains, L'Ompo's et L'Alibi. Il s'y produit avec son ami Alberto Tarallo pour y proposer des numéros de transformisme, des revues et des chansons notamment une revisitation du Lac des cygnes et une imitation spectaculaire de Sophia Loren.
La fin des années 80 et le début des années 90 seront pour Franco une période bien plus crépusculaire. Franco se sait atteint du Sida. De plus en plus fatigué il se fait beaucoup plus rare. Après le tournage de Vacanze di natale 91 il se retire définitivement des feux de la rampe. Il meurt le 3 novembre 1992 dans l'indifférence totale suite à des complications dues au HIV. Seul son éternel et fidèle ami Massimo Consuli honorera sa mémoire en écrivant quelques lignes dans le quotidien romain Paese Sera.
Franco a vécu sa vie en brulant la chandelle par les deux bouts, surexposant son homosexualité sans aucune honte ni gêne, assumant pleinement cette femme qui vivait en lui, en lui donnant vie sous ses formes les plus extraordinaires et outrancières. Cette vie dissolue, cette débauche ont tué ce personnage hors du commun, haut en couleur, cette folle de Chaillot aussi unique que singulière qui durant presque trente ans de carrière a personnifié l'homosexuel dans ce qui l'a de plus grotesque avec une auto ironie sidérante. C'est pour cette folie, cette audace dont on se souviendra encore longtemps de Franco Caracciolo, une manière de continuer à faire vivre cet extravagant comédien que son coté délirant a su rendre inoubliable. Il restera une des figures marquantes de la communauté gay italienne des années 70 et 80, un de ses acteurs phare au même titre que notamment le trépidant Vincenzo Diamanti.