La papesse: le mystère Géziale enfin levé!
MARIO MERCIER: L'ARTISTE MULTI FACETTES:
Né à Nice en 1936 Mario Mercier appartient à la grande famille des romanciers-cinéastes car s'il est essentiellement connu pour deux pellicules devenues depuis deux classiques incontournables du film de sorcellerie français, Mercier est avant tout écrivain, un féru d'écriture passionné de magie, de shamanisme et d'ésotérisme. Après avoir fait les Beaux-Arts puis l'école de cinéma Mario écrit son premier ouvrage en 1969, l'étonnant et surréaliste Journal de Jeanne paru aux célèbres éditions Eric Lasfield. L'homme qui est également peintre, il a fait l'école d'ésotérisme de Nice, y narre les aventures d'une jeune et belle meurtrière kidnappée par un couple sadique qui veut en faire son esclave. D'autres romans suivront au fil du temps, La cuvée des singes (1970), le subversif Nécrophile écrit la même année qui sera frappé d'interdiction lors de sa publication, L'odyssée fantastique d'Arthur (1976) et Loubia le voyage fantastique dans l'âme et le mystère de la femme (2000). Mario Mercier écrira aussi dans les années 70 pour quelques fanzines comme L'horizon du Fantastique et certaines revues ésotériques qui firent les beaux jours des kiosques comme Le Grand Albert qui s'affichait aux cotés de Nostra, Atlantis, L'alchimie... dont tous les amoureux de mystères et d'occultisme se souviennent encore aujourd'hui.
Quant au cinéma, c'est en 1965 que Mario Mercier fait ses premiers pas derrière une caméra en réalisant un court-métrage en noir et blanc inspiré de Orphée, Les dieux en colère, longtemps resté inédit. Son premier film, La Goulve, voit le jour en 1972. Sorti en France, La Goulve connait un certain succès malgré les différends qui allaient opposer le cinéaste et son producteur Bepi Fontana, responsable de coupes et de scènes rajoutées tournées sans l'accord de l'auteur. Mercier n'acceptera jamais un tel procédé qui à ses yeux dénatura son film. La brouille ne se dissipera jamais et Mercier finira par renier La Goulve dont il refuse aujourd'hui encore la paternité.
Deux ans plus tard, il récidive avec La papesse, un film qui lui tenait beaucoup à coeur mais qui allait être massacré par la censure horrifiée par son sujet et son contenu. Retirer de l'affiche une semaine après sa sortie puis classé X il fut joué dans les circuits pornographiques parisiens. Ainsi privé de son public d'origine, boudé par les pornophiles puisque La papesse n'était en aucun cas un film porno, la carrière du film fut brisée et le moral de Mercier, écoeuré, fut mis à mal. S'il n'avait pas écarté l'envie de faire d'autres films par la suite, ce fut très compliqué.
Fortement déçu par le système français et le sort réservé à La papesse, privé de producteurs par conséquent de financement suite à son interdiction, Mercier abandonna l'idée et se consacra par la suite à l'écriture, à la peinture et au shamanisme. Il voyagea beaucoup, vécut chez les indiens pour approfondir ses connaissances en la matière avant de retourner discrètement à Nice qu'il quitte très rarement si ce n'est pour de furtives montées à Paris comme en 2009 à l'occasion de l'hommage que l'Etrange Festival lui rendait en diffusant son court-métrage et ses deux films.
Quelque fut la destinée des films de Mario Mercier, le cinéaste romancier, homme complet, véritable référence en la matière dans le monde de l'occulte, de la littérature et des passionnés d'un certain cinéma, reste une figure essentielle dans un univers cinématographique fantastique français bien étriqué que quasiment seul Jean Rollin représentait alors avec force et difficulté. Avec plus de chance et surtout moins de problèmes Mercier aurait pu devenir son égal. Autre temps autre moeurs. La censure s'est acharné sur l'artiste en tirant à boulets rouges sur son oeuvre, brisant une carrière dans l'oeuf, nouvelle preuve d'une France conservatrice engluée dans ses valeurs morales et religieuses et son étroitesse d'esprit.
Cinéaste maudit, Mario Mercier a tout de même ouvert la brèche à quelques réalisateurs qui s'essayèrent eux aussi au genre avant de se tourner vers la facilité et donner dans un cinéma plus classique. On pense notamment à Jean-François Davy (Le seuil du vide), Joël Seria (Sérail) et Jean-Claude Verhaegue (L'araignée d'eau). Comme quoi en France, le cinéma fantastique n'aura guère eu sa place encore moins ses dignes représentants. On peut remercier Mercier d'avoir osé l'impensable à une époque aussi rigide et nous avoir donné ces deux petits écrins aujourd'hui tout aussi inimaginables dans notre Hexagone.
GEZIALE: PORTRAIT D'UNE FEMME DEVOILEE:
Restée une véritable énigme, elle continue aujourd'hui encore d'intriguer. Depuis des décennies elle est pour les passionnés du film un sujet fascinant source d'innombrables questions demeurées pour la plupart sans réponses. Elle c'est Géziale la papesse qui donna au film son titre. Au fil du temps et des générations Géziale a gardé son aura de mystère qui d'une certaine manière alimente le pouvoir de fascination qu'elle exerce sur le public et donne au film une grande partie de son infinie saveur.
Très peu de choses ont été dites ou écrites sur Géziale hormis le fait qu'elle était dans la vie une véritable initiatrice originaire de Nice qui jouait à l'écran son propre rôle. Mario Mercier lui même semble très souvent évasif, secret, joue sur sa mémoire, lorsqu'on évoque la jeune femme comme pour mieux préserver le mystère et éviter que le grand public n'en sache trop. Volontaire ou non, cela fonctionne puisque Géziale est devenue au fil des années un véritable objet de culte, une icône du film de sorcellerie toujours aussi puissamment hypnotisante.
Trouver des informations sur Géziale est un véritable labeur, un travail d'archives qui demande de minutieuses recherches dans le labyrinthe du temps. Il faut en fait remonter à la fin des années 60 pour réunir quelques précieux renseignements sur cette énigme humaine. Géziale fut en effet en 1969 un des membres-fondateurs de la secte du Mandarom qu'elle quitta assez rapidement pour créer sa propre organisation occulte, bien plus mystique, selon ses convictions personnelles. Au début des années 70 elle est à l'honneur dans quelques revues d'ésotérisme, ces magazines populaires alors très en vogue qui fleurissaient sur les étals des kiosques. Parmi les plus renommés on trouvait notamment Le Grand Albert,Nostra, Atlantis... quelques titres qui devraient rappeler d'excellents souvenirs aux plus mystiques d'entre vous. Un an peu avant le tournage de La papesse, en début d'année 1973, Géziale y dévoilait quelques uns de ses secrets, une partie de sa philosophie et de ses croyances magiques. C'est à cette époque que Mario Mercier l'avait connu et même interviewé pour le compte de certains de ces magazines. Les informations restent vagues mais sont suffisantes pour lever un pan du voile de mystère qui entoure la belle sorcière et la rendre soudainement plus humaine. Géziale se transforme soudain en une jeune fille normale presque bien sous tout rapport. En rassemblant les informations telles les pièces d'un puzzle voilà le mini portrait qu'on peut enfin dresser aujourd'hui de ce véritable mystère fait de chair et de sang.
C'est en 1973 qu'elle fait la connaissance de Mario Mercier. Entre eux va rapidement débuter une relation amicale basée sur le respect. Il assiste à ses rites initiatiques dont il existe des photographies. De là va naitre l'idée du film La papesse qu'il tourne l'année suivante. Ce n'est jamais qu'une reproduction exacte mais romancée, exagérée, pour les besoin du scénario et les impératifs de ce type de cinéma, des pratiques de ce mouvement. Si Géziale y joue son propre rôle en plus diabolique, les adeptes de la secte sont tout aussi véridiques puisqu'il s'agit pour la plupart des véritables membres du groupe de la jeune femme auxquels se joignirent quelques proches de Mercier (Mathias Von Huppert) et quelques acteurs (Lisa Livane, Erika Maaz, Jean-François Delacour). Mercier définissait Géziale comme une jeune femme simple, généreuse mais très méfiante voire sauvage. Mieux valait ne pas l'avoir comme ennemie ironise t-il. Elle était très sévère dans le choix de ses adeptes recherchant en priorité la sincérité sans jamais faire de distinction de sexe. Pour peu que la personne soit réceptive, elle pouvait ressentir le magnétisme que dégageait Géziale et comprendre qu'elle n'était pas comme tout le monde. Lorsqu'elle n'était pas Géziale, elle était une personne lambda qui travaillait comme secrétaire dans son village natal, un moyen comme un autre de dissimuler ses activités et garder l'anonymat. Mercier ajoute aujourd'hui qu'elle avait le physique parfait pour ce rôle, ni belle ni déplaisante, le spectateur pouvant ainsi facilement s'identifier à elle, un des objectifs du film qui n'est jamais que le reflet de croyances populaires.
Si à l'époque La papesse lui a apporté une forme de médiatisation, qu'est donc devenue depuis Géziale qui aurait aujourd'hui 70 ans? Est elle toujours en vie? A t-elle poursuivi ses activités mystico-occultes? Aux dernières nouvelles selon ceux qui aujourd'hui sont de près ou de loin plus ou moins en contact avec elle Géziale est toujours en vie et demeure toujours dans l'arrière-pays niçois près de Castellane. Quoiqu'il en soit bien des questions continueront à se bousculer dans l'esprit de ses nombreux admirateurs auxquelles Mercier a peut-être la réponse même s'il est utopique qu'il livre un jour quelques bribes d'informations. Une chose est sûre, Géziale est et restera à jamais vivante au fond de nos coeurs et continuera à nous faire rêver... ou cauchemarder selon le point de vue de chacun.
UNE DISTRIBUTION ECLECTIQUE:
Si une bonne partie de la distribution de La papesse est composée d'acteurs non professionnels quelques noms d'artistes connus se sont cependant joints à l'affiche notamment pour les rôles principaux, ceux d'Aline, de Laurent et de Litra. Il s'agit respectivement de Lisa Livane, Jean-François Delacour et Erika Maaz, tout trois ayant pour point commun d'être venus du théâtre et de la télévision, apportant ainsi au film leur professionnalisme dans des compositions peu évidentes.
C'est la comédienne Lisa Livane également connue sous le pseudonyme Claude Guillaume qui incarne Aline. Lisa a débuté sa carrière au milieu des années 60 en apparaissant dans bon nombre de séries télévisées tout en montant régulièrement sur les planches. Au cinéma elle fait ses débuts en 1972 dans une sexploitation à la française Dany la ravageuse de Willy Rozier dans laquelle elle a une scène lesbienne avec Sandra julien. Un linceul n'a pas de poche et L'ombre d'une chance tout deux de Jean-Pierre Mocky dont elle sera une des actrices fétiches. Elle tournera en effet beaucoup pour le cinéaste dés la fin des années 70 et les années 80. On la verra également chez Chabrol et Chéreau entre autres. Lisa continue parallèlement une carrière au théâtre et à la télévision. Plus discrète dans les années 90 et 2000 Lisa n'en continue pas moins son petit bonhomme de chemin encore aujourd'hui puisqu'elle est au générique de quelques courts métrages pour lesquels elle offre ses talents et son expérience.
Jean-François Delacour a lui aussi fait ses premiers pas de comédien à la télévision au générique de quelques séries dés la fin des années 60. Moins présent au grand écran que sa partenaire Lisa, Jean-François a essentiellement consacré sa carrière au théâtre et à la télévision. Au grand écran hormis La papesse dans laquelle il retrouve Erika Maaz et Lisa livane avec qui il avait déjà joué sur les planches on a pu le voir dans Une robe noire pour un tueur avec Annie Girardot et Concerto pour un homme seul dans lequel il tient plusieurs rôles.
ERIKA MAAZ:
Impossible de ne pas remarquer cette jeune et charmante comédienne blonde aux yeux bleus aussi belle qu'intransigeante qui interprète Litra, le bras droit de Géziale la papesse. Erika Maaz a débuté sa carrière au théâtre en jouant dans quelques pièces dont en 1973 Le lai de Barrabas de Fernando Arrabal aux cotés de Jean-François Delacour, son futur partenaire de La papesse. Le film de Mario Mercier en 1974 sera son premier rôle au cinéma.
Par la suite Erika va essentiellement s'orienter vers la télévision pour laquelle elle tournera régulièrement sans pour autant abandonner le théâtre puisqu'elle sera notamment un des personnages de Nom: Stuart, Prénom: Marie de Jaromir Knittl auprès de noms aussi prestigieux que Michel Auclair, Dora Doll et Jean-Roger Caussimon. Au petit écran Erika est au générique de séries telles que L'inspecteur mène l'enquête, Les enquêtes de l'inspecteur Maigret, le feuilleton en dix épisodes La vie des autres et le désormais célèbre L'instit incarné par Gérard Klein. Elle tourne également quelques téléfilms dont un petit thriller à la française en 1981 Les fugitifs avec notamment Bernard Menez et Claude Gensac.Au grand écran hormis La papesse on a pu la voir en 1978 dans le sulfureux La petite fille en velours bleu de Alan Bridges aux cotés de l'impétueuse Lara Wendel, Claudia Cardinale et Michel Piccoli. Elle y tient le rôle de Soeur Alda, dévouée à l'hôpital pour lequel elle travaille, malheureusement dissimulée sous sa coiffe de nonne d'un bout à l'autre du métrage. En 1979 elle est à l'affiche d'une étonnante comédie iranienne, une satire sociale aux limbes du surréalisme O.K mister! de Parviz Kimiavi dans laquelle elle tient le double rôle principal, celui d'une professeur de français bigote et de Cendrillon qui, vierge, attend son prince charmant. Elle fait une furtive apparition en 1981 dans la comédie juvénile de Michel Vocoret Comment draguer toutes les filles, le rôle d'une simple passante qu'on prend pour Sylvie (Charlotte Walior). Dès les années 80 Erika va ajouter une autre corde à son arc et embrasser une carrière de fine humoriste. Certains se souviennent peut être d'elle comme une des invités récurrentes de jeux télévisés tels que "Les jeux de 20H" et autre "Académie des 9" dans lesquelles sa répartie, son humour et sa beauté faisaient souvent mouche.
Au milieu des années 80, elle coanime aux cotés de Eddy Mitchell l'inoubliable programme phare de la troisième chaine, "La dernière séance", en incarnant le temps de quelques saisons la délicieuse hôtesse qui accueille le public et vend bonbons et chocolats aux spectateurs avant que ne s'éteignent les lumières. Délicieuse, toujours pleine d'humour, irrésistible avec sa gouaille parisienne et son accent de jeune et adorable gourde, elle ensoleillait les ouvertures de l'émission.
Malheureusement on perd ensuite trace d'Erika qui semble depuis s'être volatilisée de la surface de la planète au grand désespoir de ses admirateurs qui n'oublieront jamais sa beauté lumineuse dans La Papesse, un atout décisif pour Mercier qui la choisit entre autres pour cette raison afin de contraster avec le charme plus ingrat de Géziale, ceci afin que l'identification avec le public soit total.
UN CERCLE D'AMIS:
Autour de Géziale, Erika Maaz, Lisa Livane et Jean-François Delacour gravite toute une pléiade de comédiens non professionnels tout aussi remarquables les uns que les autres dont ce fut la seule et unique et prestation à l'écran. Parmi eux on trouve l'inquiétant Borg et son chien, garde rapproché de Géziale la papesse. Il joue un rôle prépondérant dans le film puisqu'au début il est un des initiateurs de la pauvre Aline qu'il doit dompter puis posséder. Il assaisonne également de son urine la nourriture de la malheureuse. Il sera par la suite son chasseur et bourreau. Egorgée par son chien, le cadavre de la jeune femme servira à satisfaire ses pulsions nécrophiles. Impossible donc de ne pas remarquer ce solide gaillard au faciès peu sympathique, véritable bad boy tout de noir vêtu, bottes, blouson de cuir, le crâne rasé, la barbe naissante, le rictus angoissant, le regard cruel. Borg est interprété par Mathias Von Huppert, un proche de Mercier à qui le réalisateur confia ce rôle... de composition bien sûr!
Parmi les autres membre de la secte, il y a Lina jouée par Lina Olsen. Les autres fidèles de la papesse sont interprétés pour certains par les véritables adeptes de la secte de Géziale auxquels se joignirent quelques figurants tous anonymes. On retiendra simplement quelques prénoms au gré du métrage retranscris ci dessous dans l'ordre des photographies: Edith, Hélène, Lina, Steph' et Kabul. Suit une série de visages anonymes qu'on retrouve tout au long du métrage qui se termine par deux plans de la secte dont un avec Erika Maaz.
LA PAPESSE: LA CRITIQUE
Influencé ou non par le cinéma et l'univers de Jean Rollin, le film de Mario Mercier s'en rapproche pourtant assez avec ses fabuleux décors naturels qui fleurent bon la France profonde et sauvage, son ambiance parfois onirique et le jeu assez quelconque de ses acteurs pour la plupart non professionnels.
La comparaison s'arrête cependant là tant La papesse est un film unique. Après un premier film coréalisé en 1972 avec Bepi Fontana, La Goulve, qui laissait entrevoir ses futures intentions Mario Mercier mit en oeuvre La papesse en 1975 avec pour objectif de projeter le spectateur au coeur d'une secte satanique pour en suivre les rites initiatiques.
Qu'y a t'il de si étonnant quand le cinéma nous plongeait au coeur d'innombrables exorcismes et autres messes noires à une époque où les ersatz du film de Friedkin défilaient sur nos écrans? Si au final le film n'était qu'un séduisant et provocant artifice, un trompe-l'oeil dont on ressort rassuré en se disant que tout n'est qu'effets spéciaux, Mercier a choisi une autre option, celle du cinéma-vérité, laissant ainsi planer le doute sur certaines scènes. De quoi par la même occasion ébranler Dame censure tout en mettant mal à l'aise son public. Dés le générique, un étrange sentiment qui ne le quittera plus s'empare du spectateur. Mercier l'entraine au beau milieu d'une terre aussi belle qu'inquiétante située au coeur de montagnes sauvages tandis qu'une voix-off lui apprend l'existence d'une secte millénaire qui y vit recluse. C'est une séance d'initiation qui ouvre le film. Enfermé dans une cage, un homme enterré dans le sol jusqu'à la tête, Laurent, doit affronter des serpents. Un seul d'entre eux est venimeux. S'il sort vivant de cette épreuve, il aura franchi la première étape. Laurent habite avec son épouse Aline dans une cabane rudimentaire quelque part dans ses montagnes. Le couple traverse une crise, Aline ne supporte plus cette vie de recluse encore moins la nouvelle passion de son mari pour le mysticisme. Le couple est à la dérive, ils ne communiquent plus. Tous deux se fragilisent mais ils n'arrivent pas à se séparer car leur amour ne s'est pas entièrement tari. Aline et Laurent représentent les victimes idéales facilement malléables et donc endoctrinables d'autant plus qu'on leur promet la délivrance spirituelle donc une vie meilleure. Laurent est sous l'influence de Litra, le bras droit de Géziale la fascinante Papesse à la beauté ingrate, grande prêtresse de cette secte (deuxième carte du Tarot, la Papesse symbolise la féminité, le pouvoir astral de la femme, la méditation, mais également le parcours initiatique). Il tente de convaincre sa femme de le rejoindre mais si elle refuse, elle ne parvient pourtant pas à le quitter. Cela la mènera à sa propre perte, entrainée contre son gré dans cet univers de magie noire.
Aussi fascinant que macabre, La papesse se présente comme un rêve, un cauchemar éveillé, dans lequel Mercier entraine son spectateur, un univers de magie qui flirte par moment avec un certain surréalisme que renforce une bande-son envoûtante, planante. La frontière entre le rêve et la réalité est parfois ténue créant un sentiment d'oppression. Ce n'est jamais qu'une représentation de la séparation du corps et de l'esprit, première étape d'une longue initiation. La séquence tout en flou artistique où face aux membres de la secte qui récitent leurs psaumes Laurent est crucifié puis fouetté jusqu'au sang en est une parfaite illustration. La caméra glisse ensuite sur une martyr qui reçoit à son tour le fouet. On reconnait Aline. C'est par les trous d'une cagoule qu'on assiste à la scène, moyen original de nous faire comprendre que le phénomène occulte est vécu cette fois de l'intérieur contrairement à des films tels que Rosemary's baby, Les vierges de Satan et autre Satan mon amour. C'est très certainement là un des points qui à l'époque dérangea fortement la censure qui se ligua contre le film et lui interdit toute exploitation après une sortie éclair en salles à Paris. Cette originalité est une des grandes subtilités de La papesse. Mercier fait du spectateur un voyeur, le témoin oculaire passif et consentant des agissements de la secte, créant en lui un certain sentiment de honte du fait d'assister à des évènements intolérables et contre-natures dont il se délecte cependant avec un plaisir coupable. Impossible pour lui d'y échapper, le film est ainsi fait pour qu'il garde cette position d'acteur-voyeur.
Avec l'entrée d'Aline dans la secte Mercier franchit une nouvelle étape dans le sordide avec l'initiation progressive de la jeune femme. Le cinéaste place alors le film sous le signe de la chair, celle qui est mangée crue lors du repas carnivore, l'homme redevient un animal, mais aussi celle qui est associée aux rituels du sexe. Les appétits sexuels doivent être satisfaits et c'est par le viol d'Aline, victime rétiaire jetée dans l'arène, qu'ils le seront. Le sexe prend alors une place prépondérante dans le film. Dés que l'occasion se présente les habits tombent permettant les attouchements. La destruction du couple passe par le viol et chaque épreuve est une nouvelle parodie du jeu de l'amour et de la mort. Cette marginalité rappelle beaucoup les versions sadiennes. L'ombre du Divin Marquis est d'ailleurs très présente non seulement dans les rituels de la secte basés sur l'humiliation, l'avilissement, le plaisir de la souffrance, les rapports dominants/dominés, l'abnégation de soi mais également dans certaines tenues que portent les membres de la confrérie. En ce sens, la spiritualité pseudo positive que prône Géziale est des plus floues à l'instar même des dialogues et des propos tenus par la papesse elle même aussi ésotériques que confus et troubles.
Quant à cette liberté sexuelle elle n'est qu'une autre manière de ramener l'homme à l'état de bête. Cet abaissement au rang d'animal se retrouve tout au long du film.
Humiliée, fouettée, marquée au fer rouge après que Borg ait uriné dans sa nourriture, Aline, transformée en truie, a laissé son statut d'être humain derrière elle à l'image des jeunes victimes deSalo et les 120 journées de sodome de Pasolini tandis qu'en fin de film lorsque la papesse s'accouple avec Laurent, elle déclare se rabaisser au rang de bête en acceptant de copuler avec lui, ultime épreuve ou ultime sacrifice pour donner vie à l'enfant des ténèbres. L'homme n'est alors plus qu'un reproducteur dont la mort sera la récompense pour avoir donner la vie.
Si dans les années 70, le cinéma érotique flattait les bas instincts sans jamais bouleverser les acquis ni mettre en place une quelconque philosophie nouvelle, Mercier ose montrer un système où le sexe serait non seulement l'épicentre mais aussi le moteur. Sacrilège ultime, il met en évidence une certaine misandrie. La gent masculine n'est qu'un serviteur aveugle dénué de sentiment, un partenaire occasionnel, un simple étalon qui assure la procréation donc l'immortalité. C'est ce qu'incarne le personnage de Borg. Le soupçon d'homosexualité latent dont La papesse est empreint n'étonnera donc point. On ne sera guère surpris de découvrir Géziale et Litra dormir ensemble en évidentes amantes. On peut y voir une soumission, une communion entre deux êtres psychiquement liés par une énergie bienfaisante.
Si cela est peu flatteur, ce fut aussi la porte ouverte aux foudres des censeurs d'alors puisque le réalisateur osa toucher les valeurs profondes et la bonne conscience de chacun.
La partie qui traite des sabbats et divers autres rites sataniques qui débutent par la sacralisation d'Aline une nuit de pleine lune rouge est peut être la plus envoutante voire dérangeante. Mercier filme sans artifice aucun, de manière frénétique, une véritable messe noire. Coq égorgé, corps barbouillés de sang, viol sous hallucinogènes, dégustation de sperme sur fond de danses tribales, transes frénétiques, accouplements bestiaux... sont filmés de manière quasi documentaire afin de se rapprocher le plus près possible de
l'authenticité même si la mise en scène de Mercier reste somme toute assez classique puisqu'il n'a recours qu'à quelques effets basiques (maquillages légers, flous, images en négatif et filtres). Rêve et réalité se confondent alors tandis que la papesse traverse les âges. Sa peau se flétrit, se putréfie, rongée par le temps et les vers. Maîtresse du temps et de la vie, Géziale clôt ainsi la cérémonie de sacralisation qui se terminera en une longue orgie.
Aline parviendra à fuir cette folie et trouvera refuge dans la grotte aux Groles. C'est qu'elle croyait être un sanctuaire se transformera de nouveau en enfer. Les Groles, créatures bleuâtres écloplasmiques griffues aux yeux globuleux assoiffées de sexe abuseront toute la nuit de la pauvre femme plongée dans un état de demi inconscience. Au petit matin, en chutant d'un vieil arbre mort perdu au milieu d'une lande désertique sur lequel elle avait grimpé pour échapper à Borg, Aline se brisera la nuque et sera dévorée par le chien de son bourreau. Borg pourra alors satisfaire ses instincts nécrophiles en faisant l'amour à son cadavre. Preuve d'un réel sens du visuel, projection même d'une certaine imagerie fantastique macabre, ces séquences aux limbes du surréalisme dégagent un charme vénéneux, hypnotique, empreint d'une évidente poésie funeste accentuée par une lancinante partition musicale signée Eric Demarsan qui par instant fait étrangement songer au One of these days des Pink Floyd et accentue le coté psychédélique de l'ensemble.
La mort omniprésente tout au long du métrage est finalement la récompense de toute épreuve, une finalité. Elle est soit symbolique comme la folie irréversible d'Aline ou l'épreuve des poisons de Laurent, soit coïtale lorsque Aline est assaillie par les Groles ou lors des multiples viols dont elle est victime, soit punitive lorsque les crocs du chien s'enfoncent dans la gorge de la jeune femme à l'image des griffes de Géziale qui déchirent le cou de Laurent après qu'elle se soit accouplée avec lui. Cette fascination pour la mort tout au long du film va jusqu'à l'adoration mise en évidence par le viol nécrophilique d'Aline. Amour et mort sont étroitement liés. Mario Mercier fait ainsi de Géziale une terrible femme-araignée, une redoutable mante religieuse qui tue son mâle durant l'orgasme alors qu'affaibli par ses assauts, ses forces le quittent inexorablement pour se répandre, couler en elle. Il faut subir certaines épreuves pour avancer et adhérer au mouvement de Géziale mais il faut aussi en franchir d'autres pour la quitter même si d'avance on sait que la mort en sera l'issue.
On ne peut parler de La papesse sans mentionner ses comédiens pour la plupart non professionnels à l'exception de Lisa Livane (Aline), dame de télévision et de théâtre, Jean-François Delacour (Laurent) venu lui aussi du petit écran, et la blonde Erika Maaz (Litra) qu'on put revoir ensuite dans quelques séries télévisées et films avant qu'elle ne s'oriente vers une carrière d'humoriste /présentatrice dans les années 80. Mais la grande attraction de La papesse reste la captivante Géziale, véritable prêtresse qui officiait dans l'arrière-pays niçois que Mercier avait connu deux ans plus tôt. Il s'est d'ailleurs inspiré des pratiques de Géziale pour écrire le film qui en retranspose une partie à l'écran. Le reste de la distribution est composé de proches du réalisateur (Mathias Von Huppert qui interprète le peu sympathique Borg) et de quelques véritables membres du groupe de Géziale auxquels quelques figurants se rajoutèrent. De ce coté souvent amateur de l'interprétation nait ainsi cette authenticité si recherchée par le cinéaste, trop dérangeante pour un public médusé qui ne parvient plus vraiment à différencier fiction et réalité. Film totalement à part, oeuvre unique, s'il reste somme toute un pur film d'exploitation sous couvert documentaire, La papesse laisse loin devant lui les autres films dits satanique qui face à lui font soudainement figure d'images d'Epinal et en deviennent tellement naïfs. Véritable étal anthologique des fantasmes les plus pervers, vitrine sordide de diverses névroses, le film de Mario Mercier pourra encore aujourd'hui choquer la bonne populace, même si les temps et les moeurs ont quelque peu évolué (le film fut projeté à l'Etrange festival en 2009 devant une audience hilare qui provoqua la colère du cinéaste), car il met en exergue ce que l'Homme cache au plus profond de son âme, le reflet de son propre enfer. Sorti à une époque où certes le sexe envahissait nos écrans mais où la pudeur était encore de mise alors que le phénomène des sectes éclatait ça et là, La papesse est un véritable acte de bravoure qui fait exploser toutes les valeurs morales d'alors. Courageux Mercier! Allant contre les idées de notre société judéo-chrétienne, La papesse, voyage hallucinant dans un autre monde qui fait cependant bel et bien partie du notre, référence au prologue récité par une voix-off sépulcrale, a le mérite de montrer nos travers sans artifice, sans fard. Mario Mercier a ainsi su démontrer que le cinéma fantastique français alors quasi inexistant pouvait être autre chose qu'un doux rêve. Hormis Jean Rollin qui depuis les années 60 s'évertuait à faire des films fantastiques confinés dans des circuits plus que restreints, peu de réalisateurs en effet s'attachaient à ce genre cinématographique bien précis. Fustigée par une censure ébaubie par tant d'audace, glacée d'effroi face à un tel miroir aux vérités, vomi par un public vautré dans un conformisme qu'on lui faisait voler en éclats, La papesse fut l'ultime réalisation de Mario Mercier qui, furieux de l'accueil qui fut réservé au film, se consacra par la suite uniquement à l'écriture de romans et d'ouvrages spécialisés sur l'ésotérisme. La papesse est un film téméraire, témoin de toute une époque, qui mérite amplement outre son statut de film culte d'être redécouvert aujourd'hui au même titre que le premier film de son auteur, La Goulve.
UN TOURNAGE EPROUVANT MAIS FAMILIAL:
Tourné durant l'hiver 1973-1974 La papesse ne fut pas contrairement à ce qu'on peut imaginer en voyant ses superbes paysages naturels une partie de plaisir. Le tournage fut d'après les souvenirs de Mario Mercier très éprouvant tant pour les comédiens que pour l'équipe technique. Les hivers de l'arrière pays niçois sont en effet souvent très rudes. Tous durent subir un froid souvent intense mais aussi de grosses tempêtes de neige accompagnées de blizzard. Ce fut d'autant plus difficile que la plupart des acteurs devaient jouer dénudés. En ce sens, Mercier garde un moins bon souvenir de La papesse que de La Goulve.
Si les comédiens professionnels ou non devaient suivre le scénario et les directives de Mercier, tous avaient la possibilité cependant de donner libre cours à leur imagination, à une certaine improvisation. Comme pour La Goulve, le cinéaste les laissa s'exprimer et jouer à leur manière tant qu'ils restaient dans un certain cadre et respectaient les limites imposées par l'histoire et le réalisateur. Cette liberté de jeu donne en partie au film son coté souvent réaliste, documentaire si recherché par Mercier.
La papesse fut réalisé sur les lieux mêmes où Géziale organisait ses messes noires quelque part dans les montagnes et collines niçoises qu'elle tenait à garder à l'abri des regards indiscrets. La bergerie, la grotte aux cérémonies, certains des décors et objets de rituels sont ainsi ceux de Géziale même si pour les besoins du film Mercier et son scénariste extrapolèrent pas mal. Dans un film, il y a des codes à respecter comme le dit le cinéaste. Il ne pouvait passer outre. S'il a tenu à reproduire avec le plus d'exactitude possible le monde de Géziale et de ses rites initiatiques notamment lors des sabbats une bonne partie du film est romancée et la violence imposée par ces fameux codes. Mercier de rassurer son public: dans la vie dit-il tous ces gens étaient aussi gentils que vous et moi!
On doit la plupart des costumes et des décors à l'épouse du réalisateur.