A cuore freddo
Autres titres: A coeur froid
Real: Riccardo Ghione
Année: 1971
Origine: Italie
Genre: Drame
Durée: 87mn
Acteurs: Enrico Maria Salerno, Rada Rassimov, Colette Descombes, Bruno Pradal, Luciano Bartoli, Luciano Telli, Gérard Falconetti, Giorgio Dolfin...
Résumé: Silvana, une ex-hippy, s'est mariée à un avocat, incarnation même du conformisme. Froide et égoïste, elle sait comment obtenir tout ce qu'elle veut de son mari, prêt à tout pour la garder y compris d'accepter qu'elle ait un amant, un jeune peintre nommé Mirko. Très amoureux d'elle, Mirko l'implore de quitter son mari mais la jeune femme est incapable de choisir entre son amant et la vie aisée que lui offre Enrico. Lorsque les anciens amis de Silvana, une bande de beatnicks, la retrouvent, ils décident de lui faire payer ses choix passés. Ils la violent et laissent Enrico pour mort. Silvana voit là le moyen de se débarrasser de son mari, conserver sa fortune et pouvoir enfin vivre avec Mirko...
Ami proche de Marco Ferreri, le milanais Riccardo Ghione est surtout connu pour avoir financé dans les années 60 de nombreux courts-métrages pour les plus grands noms du cinéma italien (Visconti, Antonioni...). Après le départ de Ferreri pour l'Espagne, Ghione disparut. Il ne réapparait qu'en 1968, année où il réalise La rivoluzione sessuale, une oeuvre contestataire qui traite de la sexualité de nos sociétés occidentales bourgeoises prisonnières de leurs tabous, des carcans moraux dans lesquels elles s'enferment sans pouvoir y échapper, conditionnées par une vie faite de frustrations. C'est la définition même
de toute la contre culture de la fin des années 60, du mode de vie hippy qu'on retrouve dans le second film du réalisateur, A cuore freddo.
Lors d'une descente de police dans un squat hippy, Silvana parvient à échapper aux forces de l'ordre en montant à bord de la voiture d'un avocat, Enrico Salvari, un rond de cuir confortablement installé dans une paisible petite vie bourgeoise. Séduite par cet homme riche et si différent d'elle, Silvana ne tarde pas à l'épouser et découvre malgré elle les plaisirs de la vie et de l'argent. Si au début tout semble parfait les choses ne tardent pourtant pas à se dégrader. Silvana supporte de moins en moins Enrico, homme possessif, obsédé par
cette femme provocante qu'il garde auprès de lui en comblant ses moindres désirs et caprices. Tout se précipite lorsqu'elle fait la connaissance d'un jeune peintre hippy, Mirko, qui devient son amant. Il aimerait qu'elle quitte son époux mais elle ne peut s'y résigner, incapable de choisir entre son amour pour Mirko, la liberté et la vie qu'il lui offre, et l'argent d'Enrico qui lui permet de réaliser tous ses rêves. Un jour la bande de hippies à laquelle appartenait Silvana la retrouve, bien décidée à lui faire payer sa fuite. Alors que la jeune femme et son mari sont en villégiature et pique-niquent dans un bois, une importante somme d'argent dans leur voiture, ils les agressent, humilient, battent et assomment Enrico
puis violent tour à tour Silvana qu'ils laissent à demi inconsciente sur le sol. Après avoir repris ses esprits, elle empoigne un couteau, tue Enrico et s'empare de l'argent. Par cet inattendu tour du destin, Silvana a commis le meurtre parfait. Riche, enfin débarrassée d'Enrico, elle peut désormais envisager de vivre avec Mirko. Malheureusement il refuse, ne pouvant accepter qu'elle ait pu assassiner ainsi un homme. Seule avec son argent, privée de ses deux hommes, Silvana n'a plus aucune raison de vivre. Elle a tout perdu.
Drame bourgeois baigné de convoitise, de trahison et de haine, A cuore freddo met en scène les rapports difficiles, controversés de deux êtres opposés que le hasard a un jour
réuni, d'un coté Silvana, une ex-hippy égoïste, capricieuse, provocante qui a trouvé en Enrico une véritable manne, de l'autre, cet avocat, bourgeois soumis et résolu, prêt à tout pour garder cette femme qu'il obsède y compris accepter son jeune amant et contenir sa jalousie. A travers cette relation vouée à l'échec aussi dangereuse qu'étouffante, Ghione met en avant comme il l'avait déjà fait avec La révolution sexuelle et le refera par la suite avec son ultime film Un prato macchiato di rosso deux styles de vie différents, la liberté qui caractérise le mouvement hippy et le conformisme bourgeois tout en créant une certaine ambiguïté dans le personnage d'Enrico, macho soumis, touchant dans sa faiblesse, un agneau qui peut
cependant facilement se transformer en loup redoutable face à la froideur d'une femme méchante et intéressée. En découle un étrange mélange de pulsions et désirs qu'on ne contrôle pas toujours, de haine qu'on tente de garder en soi, de masochisme mais aussi d'amour, un dangereux cocktail qui explosera en toute fin de film dans un déferlement de violence assez inattendue dont le déclencheur sera un élément extérieur impromptu, l'ex-bande d'amis de Silvana, une véritable déflagration qui en soi sera aussi une forme de libération.
Jusqu'alors mis en scène avec une certaine classe, de manière presque raffinée, discrète, Ghione opte alors pour un ton radicalement différent et sombre dans la pure exploitation et la
gratuité, le sordide. C'est par ce biais que le cinéaste a choisi d'imager la férocité de l'être humain, son avidité et sa lâcheté. C'est avec complaisance qu'il filme le triple viol de Silvana dans les bois alors qu'Enrico gît inconscient à ses cotés, une longue séquence digne des meilleurs rape and revenge. De pauvre victime la jeune femme se mue alors en odieuse meurtrière, dénuée de remords lorsqu'elle poignarde son mari, profitant de ce viol atroce pour se débarrasser de lui et ainsi faire accuser ses bourreaux. Point de happy end ici. Pensant avoir tout gagné, Silvana aura finalement tout perdu. Ne lui reste plus semble t-il qu'une insupportable solitude.
On pourra reprocher à Cuore freddo sa lenteur et un montage curieux, un brin fastidieux qui sans cesse alterne passé et présent mais ce deuxième film de Ghione reste résolument un bel exemple de cinéma contestataire sublimé par son atmosphère typiquement années 70, cette beauté artistique qui les caractérise. Drame amer certes sans surprise, représentatif de tout un pan du cinéma de cette époque, A cuore freddo qu'accompagne une jolie musique signée Stelvio Cipriani est une intéressante petite oeuvre en totale phase avec son temps.
Dans les rôles principaux on retrouvera Enrico Maria Salerno, l'avocat, tout en justesse et retenue, face à une Rada Rassimov version blonde, la soeur de Ivan Rassimov, au regard
magnétique, classieuse, élégante, tant en bourgeoise que vêtue façon hippie, même si son coté altier, rangé, à la Anita Strindberg à qui elle n'a jamais autant ressemblé, colle assez mal à l'image bohème d'une beatnick. Le jeune et fort séduisant acteur français Bruno Pradal (Mourir d'aimer, La saignée) qui connaitra par la suite une longue carrière à la télévision incarne le peintre. A leurs cotés, Colette Descombes interprète une des hippies de la bande.