La corrupcion de Chris Miller
Autres titres: Terreur aveugle / La corruption de Chris Miller / La casa ai margini del bosco / The corruption of Chris Miller / Sisters of corruption
Real: Juan Antonio Bardem
Année: 1973
Origine: Espagne
Genre: Thriller
Durée: 109mn
Acteurs: Jean Seberg, Marisol, Barry Stokes, Perla Cristal, Rudy Gaebel, Gérard Tichy, Maria Bardem, Mariano Vidal Molina, Juan Antonio Bardem, Antonio Parra, Miguel Bardem, Gustavo Re, Alicia Altabella...
Résumé: Ruth Miller et sa belle-fille Chris vivent dans leur maison de campagne dans laquelle elles se cloitrent dés la nuit tombée. Ruth attend vainement le retour d'un mari disparu depuis bien des années tandis que Chris, traumatisée par un viol commis dans les douches d'un gymnase ne supporte plus ni l'obscurité ni le bruit de l'eau. C'est alors qu'un jeune vagabond apparait dans leur vie. Il se fait engager par Ruth et parvient à très vite séduire les deux femmes. Ce triangle amoureux va rapidement engendrer des tensions d'autant plus que le jeune homme semble également être intéressé par autre chose que les deux femmes. La présence d'un psychopathe déjà coupable de plusieurs meurtres particulièrement violents dans la région n'est pas fait pour rassurer Ruth et Chris...
Juan Antonio Bardem fait définitivement partie des grands noms de la télévision et du cinéma espagnol. Acteur, scénariste, metteur en scène, il débuta sa carrière à la fin des années 40 et ne cessa de tourner jusqu'à la fin des années 90, date à laquelle il se retira lentement des feux de la rampe. Si bon nombre de ses oeuvres nous sont inconnues en France, certaines nous sont tout de même parvenues autrefois ne serait ce que par le biais de la vidéo même si les plus curieux se sont quant à eux rués depuis bien longtemps sur les bandes originales. Cinéaste hétéroclite, c'est au thriller qu'il s'intéresse avec cet étrange petit
film trop souvent classé dans la catégorie des gialli ibériques. Si la scène d'ouverture et le personnage du tueur font bel et bien pensé au giallo, La corrupcion de Chris Miller connu en France sous le titre particulièrement trompeur et stupide Terreur aveugle se rapproche en fait beaucoup plus des thrillers psychologiques familiaux notamment ceux de Lenzi.
Ruth Miller et sa belle-fille Chris vivent recluses dans leur maison de campagne depuis que le mari de Ruth, un artiste itinérant, l'a mystérieusement quitté. Depuis ce jour, déchirée entre la haine et la crainte, elle ne cesse désespérément d'attendre son retour, n'ayant jamais cessé de penser qu'un jour elle le verrait franchir le seuil de sa porte et ainsi assouvir sa
vengeance. Quant à Chris, elle fut jadis victime d'un viol dans les douches d'un gymnase. Traumatisée, elle ne supporte plus d'entendre la pluie tomber ni de se retrouver dans l'obscurité. C'est la raison pour laquelle les deux femmes se barricadent soigneusement toutes les nuits dans leur maison d'autant plus qu'un dangereux psychopathe a déjà massacré plusieurs victimes dont une chanteuse de cabaret. C'est alors que surgit Barry, un étrange jeune homme qui parvient à se faire embaucher par Ruth pour de menus travaux. Il séduit très vite les deux femmes ce qui renforcent les tensions existant déjà entre elles. Protectrice, Ruth a une tendance à couver sa belle-fille envers laquelle elle ressent une
attirance quasi incestueuse. Chris a du mal à supporter cet amour étouffant. Elle aime donc parfois s'échapper dans les bras d'un jeune châtelain désargenté. Barry semble également être intéressé par autre chose dans la maison, quelque chose qu'il cherche ardemment. C'est alors que les voisins des Miller se font sauvagement assassinés. Persuadé que Barry est le meurtrier les deux femmes vont s'arranger pour le tuer. Mais les apparences sont parfois bien trompeuses et la vérité est tout autre. Alors que le véritable coupable est enfin arrêté, Ruth découvre que Barry est en fait le fils de son époux. Tout juste sorti de prison il était venu chercher un trésor soigneusement caché dans la maison par l'époux de Ruth. Les
deux femmes vont devoir maintenant faire disparaitre le corps du garçon mais le destin va en décider autrement.
Située dans le pays basque, cette maison à l'orée des bois, traduction littérale du titre italien qui joue sur l'aspect horrifique de l'intrigue, tente de mettre en place un huis clos un brin délétère durant lequel va naitre un triangle amoureux plus ou moins malsain l'ensemble pimenté par la présence d'un redoutable assassin, un soupçon d'inceste et un traumatisme infantile, éléments de base de bon nombre de thrillers qui ont souvent fait leurs preuves. Bardem ne change pas d'un iota une recette gagnante mais faute à une mise en scène parfois maladroite et un déséquilibre narratif, le film ne fonctionne pas toujours comme il
devrait. Le film aurait gagné en force si l'intrigue amoureuse n'avait pas occupé quasiment les trois-quart du métrage, quitte à raccourcir sa durée au départ conséquente (1h50), d'autant plus que la description de cette relation triolique manque par instant non seulement de nerf mais surtout de piquant pour vraiment intéresser ou simplement intriguer. Il manque à ce drame psychologique familial somme toute banal la morbidité qu'un tel sujet requérait malgré ce souffle d'inceste là encore trop discret qui arrose une majeure partie du film. Fort heureusement Bardem se rattrape sur bien d'autres points dont le décor. Cette petite maison de briques rouges perdue en campagne quelque part non loin d'un petit village basque
rappelle ces demeures maudites si chères à un certain cinéma d'épouvante notamment britannique. Féerie florale, pelouse verdoyante baignée de soleil alternent avec ces perpétuelles nuits d'orage durant lesquelles tombe une pluie diluvienne incessante dissimulant derrière son rideau d'eau une silhouette noire encapuchonnée armée d'une serpe. Ces nuits étonnamment pluvieuses multiplient les peurs, accentuent les phobies des deux femmes qui se cloitrent alors à l'intérieur de la maison, fermant portes, volets et fenêtres, l'une craignant le retour improbable d'un mari à la fois patiemment attendu et redouté, l'autre ne supportant plus ni l'obscurité ni le bruit de l'eau depuis son viol. Voilà de
quoi faire naitre un climat pesant et étrange aidé d'une part par une décoration vieillotte, presque austère, par la tension souvent palpable entre les deux femmes d'autre part.
Autre atout du film l'interprétation tout en justesse de Barry Stokes, jeune acteur anglais vu entre autres dans Le zombi venu d'ailleurs et Voltan le barbare dont on pourra ici admirer l'intégrale nudité, dans la peau de ce curieux vagabond, cet intrus qui s'apparente au loup dans la bergerie, à la fois séducteur et intrigant mais avant tout ambigu. Il est un peu regrettable que Jean Seberg alors en plein déclin professionnel ne soit pas à la hauteur de son personnage. On ne la sent guère investie, trop en retrait, ne réussissant jamais à
réellement mettre en avant l'aspect tourmenté de cette femme. L'actrice déclara jadis avoir tout d'abord refusé ce film dont elle trouvait le sujet beaucoup trop obscène mais elle dut finalement l'accepter, poussée par son agent, pour des raisons purement financières, son compte en banque étant alors au plus bas. Aidé de Barry, la jeune Marisol, chanteuse espagnole de renom au début des années 70, parvient heureusement à rétablir un certain équilibre en rattrapant le jeu trop faible de Jean et rendre ainsi crédible ce triangle.
Mentionnons la présence furtive de Gérard Tichy dans l'imperméable de l'inspecteur.
Si La corrupcion de Chris Miller n'est pas très sanglant, le film peut cependant fièrement se
vanter de nous offrir trois meurtres absolument incroyables, trois moments forts du film. Le premier, celui de la chanteuse qui sert de séquence pré-générique et par conséquent de mise en bouche, est totalement réussi, pas uniquement pour la violence du meurtre en lui même plus suggéré que montré mais pour le déguisement tout à fait original et totalement inédit utilisé par le tueur grimé en parfait Charlie Chaplin qui abandonnera son masque blanc négligemment jeté sur le sol détrempé par la pluie! Visuellement étrange, aussi théâtral que délirant il a quelque chose d'à la fois beau et effroyable. Il donne au cinéma d'horreur ibérique une de ses plus belles séquences. Moins impressionnant mais tout aussi
brutal le massacre de la famille toujours par ce même tueur revêtu cette fois d'un ciré noir mais c'est le meurtre final, saisissant, étonnamment graphique, interminable, filmé dans un très long ralenti qui fera mouche, une scène particulièrement sanglante qui réjouira tous les amateurs d'effets sanguinolents durant laquelle les deux femmes transformées en harpies s'acharnent tour à tour sur le pauvre garçon, nu, transperçant son corps de coups de couteau.
Tous ces atouts ne sortent malheureusement pas La corrupcion de Chris Miller d'une certaine approximation. S'il manque de noirceur et de cohérence, s'il est loin d'être aussi glauque qu'il aurait pu (du) être, si certains points deviennent soudainement anecdotiques et
surtout décevants telle l'arrestation du tueur, passée presque inaperçue et trop peu reliée au récit, le film de Bardem souffre surtout de son inégalité narrative. Le déséquilibre entre les parties psychologiques plus précisément ce huis-clos où naissent les relations amoureuses et resurgissent les trauma et les parties plus horrifiques à proprement parler est ici un peu trop marqué pour masquer une narration peu prenante. Malgré ses défauts La corrupcion de Chris Miller n'en demeure pas moins une véritable curiosité d'antan, un bel exemple de thriller ibérique que tout amateur aura plaisir à découvrir et apprécier à sa juste valeur. Loin d'être parfait, ce psycho drame morbide s'il peut laisser un sentiment mitigé au spectateur est un spectacle tout à fait honorable qui mérite sa place dans le très large éventail d'un cinéma espagnol aussi riche que méconnu.