La ragazza di latta
Autres titres: The tin girl / La mujer robot
Real: Marcello Aliprandi
Année: 1970
Origine: Italie
Genre: Fantastique
Durée: 83mn
Acteurs: Roberto Antonelli, Sydne Rome, Elena Persiani, Simone Mattioli, Umberto D'Orsi, Massimo Antonelli, Adriano Amidei Migliano, Olga Gherardi, Elisa Babini, Natale Macchiedi, Maria Luisa Firentini, Giuliano Todeschini, Filipo Severi...
Résumé: Osvaldo Rossi travaille pour la fameuse Smack Bank Invest. Féroce anticonformiste, il y fait figure de résistant face à ses collègues qui ont tous adapté le même style de vie, d'habillement et de loisirs. Il refuse même l'offre du directeur qui lui propose de diriger la société à ses cotés. Un jour il fait la connaissance d'une étrange jeune fille qui lui ressemble et brille par sa personnalité. Il finit par l'épouser mais il réalise bientôt qu'elle est en fait un robot crée par sa société...
Auteur d'un très bon film d'horreur atmosphérique qui lorgne du coté de Don't look now et du Tour d'écrou, Un sussurro nel buio, et d'une ode au naturisme sur fond de drame amoureux, le très ensoleillée Senza buccia, le peu prolifique metteur en scène romain Marcello Aliprandi débuta sa courte carrière en 1970 avec ce curieux film d'anticipation qui à sa façon représente fort toute l'audace du cinéma italien de cette époque.
Sorte de fable surréaliste avant-gardiste, La ragazza di latta, littéralement La fille en fer blanc, appartient définitivement à la longue série de films anticonformistes que l'Italie produisit principalement au début de la décennie. L'histoire découpée en plusieurs actes se déroule dans un hypothétique futur à Ravennes. Le fameux Monsieur Osvaldo Rossi travaille au coeur d'une grande société très renommée, la Smack Bank Invest, dans laquelle il est considéré comme un véritable résistant puisqu'il refuse à tout prix de devenir comme tous ses collègues, un parfait petit conformiste. Si ces derniers utilisent les produits de la société
et adoptent tous le même look, il est hors de question pour Rossi de se laisser pousser la barbe, d'utiliser les prestigieux véhicules fabriqués par l'entreprise et de passer ses week-end à jouer avec quelques amis. Il préfère se déplacer en patins à roulettes, revêtir une armure dorée de chevalier afin de mieux se battre contre cette mécanisation généralisée et passer son temps à rêver qu'il fuit non seulement cette société mais également son épouse Teodora, une créatrice de mode tout aussi conformiste. C'est alors qu'il aperçoit un jour de
sa fenêtre une superbe jeune fille qui lui parait différente des autres. Elle semble avoir sa propre personnalité, une qualité qui conforte Rossi dans ses idées anticonformistes tant et si bien qu'il refuse une généreuse offre du grand patron de la Smack, celle de codirecteur de la société, une proposition surtout faite pour tenter de lui enlever de l'esprit toute envie de résistance. Rossi épouse la jeune fille mais il découvre qu'elle n'est en fait qu'un robot crée de toute pièce par la Smack. Fou de rage, désespéré, il la tue. Vaincu par la société, il abdique et accepte de devenir à son tour un gentil petit travailleur modèle, un parfait petit robot anonyme et obéissant.
Contrairement à bon nombre d'autres oeuvres socio-politiques qui utilisent le fantastique comme moyen de visualiser et démystifier les effets du capitalisme, Marcello Aliprandi s'il y a d'une certaine manière également recours lui préfère cependant le bizarre, le grotesque sans pour autant en oublier l'aspect tant allégorique qu'ironique. En découle un film monté un peu à la manière du H2S de Roberto Faenza, une oeuvre sombre mais sincère portée par son coté absurde pas forcément toujours crédible. La ragazza di latta est une comédie étrange, un conte surréaliste dénonciateur qui vise et mitraille la bourgeoisie et le
conformisme, notre société de consommation tout en s'éloignant des schémas narratifs traditionnels puisque découpé en une dizaine d'actes qui passent allégrement de la réalité au rêve en passant par l'hallucination. Le procédé est dangereux et doit être utilisé avec intelligence et assurance. Si Aliprandi ne maitrise pas toujours, il faut reconnaitre qu'il s'en sort plutôt assez bien. Il parvient à faire voyager le spectateur à défaut de l'y intégrer totalement dans cet univers bien particulier qui n'est pas sans rappeler celui de Pupi Avati première époque notamment celui de Balsamus l'uomo di Satana tandis que certaines extravagances, le grotesque de certaines séquences font quant à elles références au coté
visionnaire d'un Fellini. Est ce un hasard si le personnage joué par Umberto D'Orsi est un cinéaste transformé en mage nommé Oderico Chellini? N'est ni Avati encore moins Fellini qui veut, Aliprandi n'en a pas le génie et La ragazza di latta souffre par moment d'une certaine confusion. Certains passages ne sont pas toujours très clairs, le rythme est irrégulier. Cependant son film demeure captivant pour le peu qu'on entre dans l'histoire et se laisse bercer par la curiosité des images, de certaines séquences purement extraordinaires. Toute la force du film se trouve dans sa créativité, la beauté magistrale de ses scènes une fois débarrassées de leur signification contestataire telle cette fête de l'impossible à laquelle
participent Rossi et ses amis, une sorte de délire mi-festif mi-orgiaque qui dépasse en extravagances tout ce qu'ils pouvaient imaginer. Cela est peut être un peu trop mais l'impact est indéniable.
Aliprandi joue avec dextérité et un certain savoir-faire avec Ravennes, ville industrielle par excellence. Il en fait une cité totalement aseptisée, parfois effrayante, surréaliste, grâce à une série d'images déformantes, de décors à la fois simples et futuristes qui rendent ces lieux fort basiques aussi crédibles qu'improbables sans jamais avoir recours à des artifices complexes.
Ou quand ici simplicité rime avec efficacité. On savourera également les costumes parfois délirants, les maquillages outranciers, l'ingéniosité de quelques passages comme on savourera cette atmosphère étrange qui se dégage d'autres plans qui ne sont pas sans rappeler certains films d'anticipation anglais. A la vision de La ragazza di latta, rythmé par une superbe partition musicale signée Nicola Paviani, on ne peut que songer au film de Corrado Farina sorti la même année, Hanno cambiato faccia avec lequel il a pas mal de points communs notamment cet accent mis sur l'invasion de la publicité dans notre
quotidien et la résistance de l'homme libre face au pouvoir galopant. D'autres pourront le rapprocher également de La propriété c'est plus le vol de Elio Petri. On y retrouve leur cynisme lors du final où le pouvoir, fascinant, triomphe et écrase l'homme, l'obligeant à rentrer dans le système qui aura raison de lui.
La ragazza di latta bénéficie en outre d'une excellente interprétation de la part de ses deux principaux protagonistes, Roberto Antonelli, aujourd'hui professeur de récitation à l'école de cinéma de Rome, et une magnifique et envoutante presque irréelle Sydne Rome quelques années avant que Pasquale Festa-Campanile lui administre sa célèbre Fessée dans la peau de cette fille en fer blanc tous deux entourés de très bons comédiens dont Umberto D'Orsi.
On signalera la présence furtive de Simone Mattioli, le futur compagnon de la regrettée Franca Stoppi qui dédia sa carrière essentiellement au théâtre et au petit écran exception faite de son apparition dans Le manoir de la terreur.
La ragazza di latta n'est pas un film parfait. Malgré ses défauts, il est suffisamment bizarre dans le sens profond du terme pour qu'on s'y intéresse en sachant qu'il sera parfois difficile à certains de rentrer dans cette histoire, cette fable un brin hermétique aux esprit trop cartésiens devenue aujourd'hui difficilement visionnable. Oublié des éditeurs, il faudra que l'amateur ait la chance de tomber sur une de ses rares programmations sur les chaines italiennes pour qu'il puisse la contempler, un petit plus qui en fait une oeuvre particulièrement recherchée des collectionneurs et des fans de grotesque. Voilà un petit film d'anticipation singulier, fascinant sous bien des angles, qui s'il ne convainc pas tout à fait n'en démérite pas pour autant, une de ces oeuvres méconnues si ce n'est quasiment perdues qui prouve une fois encore la richesse du cinéma transalpin de ces années d'absolue permissivité.
Sorti en plein d'aout 1970 en Italie, le film connut pourtant une jolie carrière puisqu'il parvint à engranger la coquette somme de 21 millions de lires.