Horror
Autres titres: Le manoir de la terreur / Demoniac / Horreur / Horror castle / The Blancheville monster
Real: Alberto De Martino
Année: 1963
Origine: Italie / Espagne
Genre: Epouvante
Durée: 90mn
Acteurs: Gérard Tichy, Helga Liné, Meo Anchoriz, Ombretta Colli, Iran Eory, Vanni materassi, Paco Moran, Harry Winter, Emilia Wolcowicz...
Résumé: Emily de Blancheville et son fiancé accompagnés d'un couple d'amis rejoignent le domaine de Blancheville qui autrefois fut la propriété du défunt père de la jeune fille, mort brulé dans un monastère. C'est désormais son frère Roderick qui en est le châtelain. Emily apprend alors de la bouche même de Roderick que son père n'est pas mort. Il vit caché dans une tour, à jamais défiguré. Tenant sa fille pour responsable, il s'est juré de la tuer avant son vingt et unième anniversaire qu'elle doit incessamment célébrer. L'ambiance au manoir est lugubre. Une nuit Emily est réveillé par d'atroces cris. Elle surprend l'inquiétante gouvernante, Helga, entrain de faire une piqure à un homme au visage monstrueux. Elle s'évanouit. Dés lors, la santé de la jeune fille va aller en déclinant. Elle est comme hypnotisée. Chaque nuit elle se rend à la chapelle où l'attend le monstre pour la tuer. Elle refuse cependant de croire qu'il puisse s'agir de son père. Qui cherche donc à assassiner Emily? Quel complot semblent ourdir l'étrange Docteur et Helga? Quel effroyable secret familial Roderick tente t-il de garder? C'est ce que vont essayer de découvrir les amis d'Emily. Malheureusement elle est retrouvée morte. Elle est alors enterrée à la chapelle. Tous ignorent en fait qu'elle n'est pas morte, elle a simplement été hypnotisée...
Alors que Mario Bava, Antonio Margheriti et Riccardo Freda sont en ce début de décennie les maîtres incontestés du cinéma d'épouvante gothique transalpin avec respectivement Le masque du démon, Danse macabre et La vierge de Nuremberg et enfin L'effroyable secret du Professeur Hichcock, bon nombre de metteurs en scène peut être moins prestigieux vont tenter à leur tour de s'engouffrer dans ce prolifique filon qui s'éteindra lentement au tout début des années 70. C'est le cas de Alberto De Martino, alors habitué aux péplums, le plus américain des réalisateurs italiens. S'il n'est certainement pas le plus connu des films d'horreur dits gothiques, Horror, coproduction italo-espagnole rebaptisée en France Demoniac ou encore Le manoir de la terreur (à ne pas confondre avec le film de Andrea Bianchi), mérite toutefois toute l'attention de l'amateur tant De Martino signe là un véritable petit chef d'oeuvre du genre qui par certains aspects se réfère au cinéma britannique, plus précisément celui de Roger Corman, et aux oeuvres de Poe qu'il cite ça et là. De Corman, on songe de temps à autre à Premature burial / L'emmuré vivant. On notera également le prénom d'un des principaux protagonistes, Roderick, qu'on peut voir comme un clin d'oeil à La chute de la maison Usher. L'ambiance comme l'esthétique est elle aussi tout à fait britannique et fera indéniablement penser à la Hammer, notamment aux Maitresses de Dracula de Terence Fisher. De telles références sont ici d'excellentes assises sur lesquelles De Martino greffe une histoire troublante située dans l'Ecosse de la fin du 19ème siècle, terre de légendes et autres superstitions macabres par excellence.
De l'horreur gothique De Martino en reprend les principaux éléments. Ainsi l'action se déroule dans un lugubre château isolé au beau milieu de nulle part dans la campagne écossaise d'une fin d'automne. Une inquiétante gouvernante au regard de glace, d'étranges domestiques, de terribles secrets familiaux bien gardés, un étrange docteur passionné d'hypnose, de terrifiants cris qui déchirent le silence de la nuit tandis que gronde le tonnerre, une effrayante légende, un monstre défiguré soigneusement caché dans une des tours inoccupée du château, une chapelle qui s'élève au milieu d'un dédale de ruines, un paysage sinistre propice aux cauchemars les plus effroyables, une jeune et frêle héroïne qu'on veut tuer, plot central d'un scénario qui faute d'être très original parvient à captiver grâce à l'atmosphère générale du film, sont autant de composantes avec lesquelles le cinéaste joue à merveille. C'est bien là l'atout majeur du Manoir de la terreur, véritable petite merveille à
l'esthétique ultra soignée qui devrait ravir au plus haut point tous les amateurs d'épouvante. Tourné dans un somptueux noir et blanc qui prend par instant des teintes sépia (du moins dans la version éditée autrefois en vidéo) renforçant ainsi le coté quasi surréaliste de certaines séquences, Le manoir de la terreur doit beaucoup à la sublime photographie de l'espagnol Alejandro Uloa. Elle contribue en effet à donner à l'ensemble un coté aussi onirique que macabre que n'aurait pas renié quelques années plus tard un Lucio Fulci. Certains plans font irrémédiablement penser à ces vieilles gravures issues de livres de contes fantastiques séculaires aussi terrifiantes que somptueuses. Comment ne pas rester bouche bée face à ces landes désertiques sur lesquelles se dressent des arbres décharnés aux branchages à demi-morts, ces terres noyées dans la brume d'où surgissent selon l'instant soit le monstre défiguré encapuchonné
soit l'être aimé devenu soudainement insaisissable comme projeté dans une autre dimension, ces funestes labyrinthes où erre en nuisette blanche Emily. Comment ne pas frémir de plaisir devant certaines scènes purement fantastiques empreintes de poésie admirablement bien amenées et mises en scène, accompagnées d'une partition musicale funèbre signée Carlo Franci, telles celles qui se déroulent dans les ruines qui cernent le château où déambule, hagarde, Emily, se mouvant comme dans un rêve, celles où le monstre court, toute cape au vent, fendant la nuit au milieu de ces mêmes ruines, tentant d'assassiner la jeune fille. On songe une fois de plus à Dracula, au vampire, pourchassant sa proie au coeur de la nuit. De Martino a magnifiquement su utiliser ses austères décors tant intérieurs qu'extérieurs, leurs lignes disproportionnées, l'atmosphère délétère, cloitrée, qui en émane et vous saisit à la gorge.
Le second atout du film est la rigueur dont fait preuve De Martino qui jongle de façon étonnante entre les scènes de terreur et les scènes explicatives ne laissant place à aucun moment aux temps morts. C'est pour dire que le spectateur n'aura gère le temps de s'ennuyer et tentera tout comme les héros de mener sa propre enquête afin de percer le mystère des Blancheville. Le réalisateur n'a de cesse de brouiller les pistes, de multiplier les rebondissements, de jouer avec ses personnages qui semblent tous plus coupables les uns que les autres, rendant floues les relations qu'ils entretiennent entre eux tout en appuyant les regards qui en disent longs. De Martino entretient avec un savoir-faire exemplaire ce climat de danger permanent qui met le public aux abois durant la plus grande partie du métrage donnant ainsi à l'oeuvre un aspect réaliste tout à fait délectable et surtout surprenant. Le suspens est ainsi maintenu durant quasiment 90 minutes jusqu'aux ultimes minutes qui verront le mystère enfin s'éclaircir lors de la pseudo résurrection de Emily. Ce point particulier du récit fait d'ailleurs partie des originalités du film puisqu'elle annonce à sa manière le giallo de Aldo Lado La corte notte delle bambole di vetro / Je suis vivant. Tombée en catalepsie après avoir été hypnotisée, Emily est ainsi enterrée vivante au coeur de la chapelle. Témoin de son propre supplice, son calvaire rappelle celui de Jean Sorel dans le giallo de Lado, une similitude d'autant plus frappante qu'elle supplie à l'instar du malheureux héros du film cité qu'on vienne la délivrer de son cercueil en tentant de communiquer alors que sa bouche reste définitivement close. La résolution de l'énigme tient également un peu du giallo puisque les révélations finales peu plausibles en reprennent le schéma.
C'est peut être ici le point faible de Demoniac. De Martino n'a pas la précision scénaristique d'un Bava. Il n'a guère soigné ce final bien peu vraisemblable un brin rapide. Si beaucoup auront pressenti cette conclusion et deviné la mascarade malgré l'acharnement louable du metteur en scène à faire s'égarer son spectateur, la mécanique habituelle trop bien huilée est une fois de plus appliquée et n'étonnera plus les invétérés du genre.
On saluera une interprétation magistrale de la part d'une intéressante brochette d'acteurs talentueux, tous plus convaincants et convaincus les uns que les autres. On retiendra plus précisément la prestation de l'allemande Helga Liné, ex-danseuse et artiste de cirque qui fit une grande carrière en Espagne, particulièrement angoissante dans la peau de la sombre gouvernante, la fragile Ombretta Colli dissimulée sous le pseudonyme Joan Hills, parfaite en jeune victime, et Gérard Tichy, tout en retenue et finesse, dans la peau de Roderick. Tous se complètent et contribuent à donner au film cette aura si particulière.
Ecrit par Bruno et Sergio Corbucci, Demoniac fait sans nul doute partie des meilleurs films d'épouvante gothique italiens même s'il n'a jamais joui de la même réputation que les films de Bava et Margheriti. Tourné en Espagne au sinistre château de Coracera près de Madrid, Demoniac est un tout simplement un régal tant visuel qu'horrifique qui longtemps encore distillera de doux frissons au spectateur venu se perdre au milieu de ces ruines ibériques embrumées.