Povero Cristo
Autres titres:
Real: Pier Carpi
Année: 1975
Origine: Italie
Genre: Fantastique
Durée: 93mn
Acteurs: Mino Reitano, Rosemarie Dexter, Edmund Purdom, Curd Jurgens, Ida Galli, Franco Ressel, Raoul Grassilli, Adolfo Lastretti, Giancarlo Badessi, Giovanni Brusatori, Enrico Beruschi, Sonia Viviani, Roberto Brivio, Pier Anna Quaia...
Résumé: Un jeune homme, Giorgio, las de son métier et de la misère qui ronge sa ville l'abandonne pour devenir détective privé. Il passe une annonce dans un journal et très vite un homme se présente à lui. Il lui donnera la somme de 100 000 s'il parvient en l'espace de 2 mois juste à lui fournir la preuve de l'existence de Jésus Christ. Aidé par une putain, le jeune homme commence alors un long voyage qui le conduira dans d'étranges villes et lieux où il fera d'aussi étranges rencontres. Au bout des deux mois, il se présente devant l'homme. Il découvrira enfin l'inouïe vérité...
Povero cristo fait partie de ces films de genre italiens aussi rares que énigmatiques par conséquent très recherchés par l'amateur d'oeuvres plus ou moins perdues toujours en quête de nouveaux joyaux.
Totalement méconnu du grand public, Povero cristo est la première réalisation du dessinateur de bandes dessinées/écrivain/metteur en scène Pier Carpi également responsable du roman éponyme dont est tiré le scénario. Sélectionné jadis à la Mostra de Venise, le film fut inexplicablement déprogrammé et ne bénéficia d'aucune sortie par la suite tant et si bien qu'il disparut lentement jusqu'à devenir quasiment introuvable si ce n'est sous la forme d'un très long et alléchant teaser.
Povero Cristo est une oeuvre christique, une allégorie sur la vie de Jésus Christ aussi étrange que délirante, une sorte de folie théologique intemporelle qui tente de marier le bizarre, l'onirisme, l'ésotérisme, l'imaginaire et le surréalisme dans un contexte carnavalesque quasi fellinien. Raconter le film est une tâche assez difficile tant il regorge de symboles, de métaphores et d'images. Le fil conducteur de cette quête mystique est le parcours du pauvre Giorgio, un jeune homme qui fatigué de la misère qui l'entoure et la vie qu'il mène décide de changer de métier. Il souhaite devenir détective privé. Un homme se présente alors à lui et le paiera 100 000 millions s'il parvient en deux mois à lui apporter la preuve vivante que le Christ existe. Commence alors pour Giorgio un long voyage dans d'étranges villes et cités où il va croiser d'aussi étranges habitants et vivre bien des péripéties. Au terme des deux mois, il retrouvera l'Homme, en fait le Diable lui même, et au coeur d'une église il devra faire face à l'incroyable vérité...
Il n'y a ici aucune unité de temps. Le film se situe à une époque totalement indéfinie où villages arides droit sortis de l'Ancien Testament se fondent à des villes futuristes où interfèrent bacchanales et carnavals felliniens. Si ce manque de repère peut nuire d'autant plus que rien ne vient réellement le justifier, ce qui dessert essentiellement le film est l'absence d'une véritable atmosphère malgré les tentatives évidentes de Carpi, un homme au départ passionné d'ésotérisme et de théologie, qu'on sent fort investi mais trop maladroit dans cette quête de l'impossible. Si on songe parfois à Cérémonie des sens de D'agostino, Povero cristo n'en possède ni l'aspect malsain et inquiétant ni cette étrange impression d'oppression qui suintait de ses images à la fois belle et crasses. Se succèdent ainsi durant 90 minutes une suite de tableaux, de scènes, qui se veulent tous plus fascinants les uns que les autres, plus envoutants ou oniriques. Certes Povero cristo est visuellement superbe, tout particulièrement esthétisant, un véritable régal pour l'oeil mais malheureusement dénué de réelle ambiance, les efforts de Carpi sont un coup d'épée dans l'eau et certaines séquences sonnent parfois un brin ridicules donnant ainsi naissance à un certain ennui d'autant plus que la mise en scène est assez lente.
En fait, Povero cristo est un bel amalgame de symboles plus ou moins ésotériques rassemblés pèle-mêle par Carpi dont on a parfois du mal à comprendre la signification tant ils sont noyés dans une sorte de discours théologique qui s'éparpille comme les pièces d'un puzzle mais ils trouveront finalement plus ou moins leur sens lors de la somptueuse conclusion. Chacun pourra y voir alors sa propre interprétation s'il en a toutefois l'envie. Voilà qui y est dommage car cette alchimie du bizarre aurait pu beaucoup mieux fonctionner avec plus de vigueur et surtout de rigueur.
Restent une histoire par instant assez captivante et avant tout de superbes décors (les arbres recouverts de papiers et de lambeaux de tissu, la salle futuriste du commissaire, l'Eglise, la statue géante sans visage qui saigne des rivières de sang...) et de magnifiques moments (l'attaque des motards qui lacèrent le visage de Giorgio à coups de chaine, la représentation de théâtre devant le roi que n'aurait pas renié Fellini même si elle n'en a pas la démesure jusqu'au grandiose final dans l'église, véritables instants de bonheur visuel, magistraux, divins). Cette ultime partie est d'ailleurs et de loin la plus aboutie, la plus riche à tout point de vue, la plus hypnotisante aussi. Dans un décor vertigineux aux couleurs chatoyantes, Giorgio revit à sa façon sous le regard du Diable/la Tentation la Passion du Christ avant que tous les protagonistes du film du moins leur double ne se transforment tous en une figure évangélique précise, mettant ainsi l'ultime pièce de ce puzzle divin a sa place, alors que lentement Jésus Christ se substitue à Giorgio sur la croix. Si tout le film avait été de cet acabit, on tenait là un véritable chef d'oeuvre.
Cette découverte, les réponses aux questions posées, ne surprendront guère puisqu'on les pressent sans guère de difficulté mais ainsi amenées, voilà qui fait tout simplement plonger le spectateur dans une sorte d'extase solennelle. Carpi a enfanté tant bien que mal d'un film allant contre toute logique artistique basé sur la contradiction. Si Dieu n'existe pas en tant qu'entité, il est tout simplement en chacun de nous, toute chose existe dans son contraire: le haut dans le bas, le sacré dans le profane, l'illogisme dans l'intellect, le bon dans le mal, la beauté dans la laideur etc...
On retiendra la prestation du regretté Mino Reitano, chanteur/compositeur fort célèbre en Italie, dans la peau de Giorgio, anti héros apocalyptique plutôt crédible et convaincant dans ce rôle de divin investigateur. A ses cotés toute une pléiade de stars et starlettes d'alors dont une distribution féminine agréable, Rosemarie Dexter, Sonia Viviani, Ida Galli. Curd Jurgens, malheureusement trop impassible et rigide, interprète le Diable. Franco Ressel, Giovanni Brusatori, futur réalisateur de Violez les otages, et Edmund Purdom complètent l'affiche.
Sous son air de cinéma auteurisant Povero cristo est aujourd'hui devenu une sorte de Saint Graal pour de nombreux amateurs de cinéma Bis italien, un film certes inégal et maladroit mais qui cependant mérite non seulement toute l'attention du bissophile mais surtout d'être un jour réhabilité afin de retrouver le siège qui lui revient amplement: celui d'une oeuvre mystique et spirituelle totalement inclassable.
Pier Carpi n'eut guère plus de chance avec ses autres films, Cagliostro et Un' ombra nell'ombra, massacrés par les distributeurs tant et si bien que, déçu, il mit fin assez vite à sa carrière de réalisateur.