L'araignée d'eau
Autres titres: The water spider
Real: Jean Daniel Verhaeghe
Année: 1971
Origine: Belgique
Genre: Fantastique
Durée: 85 mn
Acteurs: Marc Eyraud, Elisabeth Wiener, Marie Ange Dutheil, Juliet Berto, Pierre Meyrand, André Julien, Josep Maria Flotats...
Résumé: Bernard, un écrivain fasciné par la faune et la flore, capture un jour lors d'une escapade campagnarde une araignée près d'un étang. Il la ramène chez lui, la dépose dans une malle dans son grenier. avant de l'installer sur la robe de mariée de sa femme Une étrange relation va naitre entre eux. Lentement, l'araignée prend la place de son épouse, une femme presque parfaite avec qui elle ne partage plus rien hormis une étouffante routine. Une nuit, l'araignée se mue en une superbe créature spectrale, une jeune fille muette qu'il va prénommer Nadi. S'agit il d'un songe issu du fruit de son imagination d'homme frustré, d'un fantasme ou tout cela est il l'incroyable réalité?
Réalisé en 1971 par le belge Jean Daniel Verhaeghe, L'araignée d'eau est une étrange histoire tirée d'une courte nouvelle de Marcel Bealu, un de ces contes qui sent la campagne et les légendes séculaires. Et les contes ne sont parfois que les peurs d'enfants devenues réalité.
Un fin d'hiver, quelque part dans la campagne française baignée d'un soleil froid qui scintille dans les rivières cristallines où les insectes lentement renaissent. C'est dans ce décor champêtre que Bernard, un écrivain marié à une épouse dévouée avec laquelle il ne partage plus rien depuis des années sauf une écrasante routine, aime s'échapper. Un jour lors d'une promenade au bord d'un ruisseau, il entend un chant pur, angélique, magique, venant de l'onde pure comme celui d'une sirène. Une inoffensive petite araignée d'eau semble irrésistiblement l'appeler. Il entend, le spectateur n''entend pas. S'agit il simplement d'un rêve ou d'une étrange réalité, voilà toute l'ambiguité d'un film dont on ne discerne jamais le vrai du faux, du fantasme, du songe de la réalité. Une chose est certaine, l'araignée existe. Il la ramasse, la caresse, la ramène chez lui, cachée dans sa poche. Une bien mystérieuse relation va lentement naitre entre l'écrivain et la minuscule arachnide qui le subjugue, le fascine. Il aime cette petite araignée qu'il garde dans une boite et qui doucement va prendre la place de sa femme. Il va alors confortablement l'installer dans le grenier sur la robe de mariée de son épouse. Elle va s'y épanouir comme dans une étuve jusqu'à son hallucinante métamorphose qui constitue véritablement le clou du film.
Verhaeghe nous gratifie alors d'une des séquences les plus oniriques qu'ait offert le cinéma à la fois horrible et fascinante. L'araignée prend la forme d'un être humain, grossit, se fait velue, devient mygale qui devient femme. Ses pattes se transforment en bras, ses griffes en main, ses poils sont désormais des cheveux, ses yeux deviennent humains, perdus au milieu d'un enchevêtrement capillaire, étonnant et surréaliste kaléidoscope d'images d'arachnide et de femme qui se mêlent et s'emmêlent formant une extraordinaire farandole. L'araignée s'est muée en une énigmatique jeune fille muette au regard sauvage, au teint spectrale que Bernard nomme Nadi et garde enfermée dans le grenier. Verhaeghe réalise là un tour de maître, offre au spectateur un grand moment de poésie aussi troublant qu'effrayant.
Le reste du film est construit sur cette base rêve/réalité. Cette femme existe t-elle réellement ou n'est elle que la projection des fantasmes de l'écrivain et de toutes ses frustrations? Si elle semble bel et bien réelle, les villageois sont témoins de ses apparitions dans le jardin et l'accusent des vols de nourriture, la femme de l'écrivain découvre elle même son existence, Verhaeghe ne cesse pourtant de jouer sur le registre du fantasme. Bernard ne serait il la victime de ses propres désirs, ses propres rêves? Tout cet univers fantasmatique forme certainement les plus beaux moments du film: la libération de la collection de papillons morts de l'écrivain qui s'envolent et tourbillonnent comme de la neige dans son bureau, le rêve que fait Bernard dans lequel il sort d'un sac une horde de chats qui attaquent de vieux paroissiens impassibles au visage buriné dans une église perdue au sommet d'une colline, la relation complexe qu'entretiennent l'épouse de Bernard et Nadi, l'étreinte mortelle de Bernard et Nadi alors qu'elle redevient araignée...
Verhaegue n'apportera aucune réponse tangible et laissera le spectateur donner libre cours à ses propres réflexions à l'image de Bernard, seul au milieu de la lande déserte après que Nadi ait disparu, juste avant que le mot Fin ne mette un terme à cette fantasmagorie à l'atmosphère unique, emplie de mélancolie et de tristesse.
Ce joli conte au rythme très lent qui pourrait malheureusement en ennuyer certains joue beaucoup sur la perversité de l'être humain tout en mettant en exergue non seulement les frustrations d'un homme rongé par la routine qui égrène le temps qui passe dans cette campagne du début de siècle où planent encore les interdits et les peurs mais également les relations entre deux êtres qui s'aiment mais n'ont pas su se le montrer au fil de leur existence. La monotonie s'est alors installée dans leur couple. Comme tout être humain, Bernard cherche à sortir de ce monde terne, morose, d'y échapper et le rêve est un des meilleurs moyens. Réelle ou pas, Nadi est en quelque sorte un catalyseur, le révélateur de cet amour mis en veille, des sentiments et des personnalités de chacun. De la femme-araignée, l'épouse, à l'araignée-femme, Nadi, qui est la plus veule, la plus sournoise et dangereuse?
L'araignée d'eau est un véritable poème que n'aurait pas renier Baudelaire, un des rares essais fantastiques réussi des années 70 qui pourrait sans mal rejoindre des oeuvres telles que La goulve, La rose écorchée ou La Vouivre.
On saluera le choix de l'actrice et chanteuse Elisabeth Wiener dans le rôle de Nadi dont la beauté quasi surnaturelle et le visage blême collent parfaitement à son personnage.